Pas finis d'inventer
Eliane Vincent
Quand le Hamas a jeté une nouvelle pierre dans la mare déjà trouble des relations israélopalestiniennes, j’ai ressenti un besoin brûlant d’écrire quelque chose. Quelque chose avec deux familles poquées forcées d’habiter la même maison malgré la haine chevillée au cœur. J’aurais écrit une histoire de bullying, de dent pour dent, d’espace vital grugé et de méfiance délétère.
Comme toujours, je m’étais juchée sur ma clôture pour écrire. J’aime voir les choses d’en haut, regarder de chaque côté, éclairer les recoins. En levant le nez pour suivre une volée d’oies, j’ai vu d’autres conflits, des tout petits, dans les coins de ruelles où les couteaux volent bas; des plus grands, quand les couteaux se changent en fusils d’assaut.
Partout où mon regard se posait, c’étaient les mêmes restants de Cro-Magnon : l’avidité, la jalousie, la course à qui pisse le plus loin. Tout ça bien nourri par les armes raffinées de la manipulation, de la propagande, du profit et du pouvoir. Je n’ai pas pu m’empêcher de constater combien tous ces conflits se ressemblent. On peut les voir venir de loin, on ne sait jamais comment les régler.
La théorie à cinq cennes d’une docteure en rien
Le biologiste et philosophe Cyrille Barrette, dans son essai La vraie nature de la bête humaine, a clairement exposé comment, avec notre gros cerveau et tous les autres avantages acquis au fil des siècles, nous sommes les héritiers de notre nature animale, forgée par d’innombrables générations de reproduction sexuée, et en même temps dépositaires d’une nature proprement humaine, fabriquée par l’humanité elle-même.
« Libérés que nous sommes de la sélection naturelle, affirme Cyrille Barrette dans une vidéo de promotion pour son livre, nous sommes la seule bête vraiment libre d’être bête. » Mémé Laurette, dans sa grande sagesse disait la même chose : « Assez fou pour mettre le feu, pas assez fin pour l’éteindre. »
L’auteur choisit d’être optimiste « encore un peu », et de miser sur l’émergence d’une intelligence nouvelle, qui ferait de nous des bêtes capables de survivre à notre intelligence animale. Celle, précisément, qui mène aux conflits décrits ci-dessus.
Moi qui ne suis docteure en rien, qui ne sais que ce que je lis et ce que vois sur ma clôture, j’admire son optimisme, mais je n’arrive pas à le partager. Au rythme où nous ne changeons jamais, je reste persuadée que notre écosystème va se tanner de nous avant l’émergence de notre éventuelle intelligence « améliorée ».
Nous nous éjectons nous-mêmes de la course de nos gènes vers l’éternité par notre incapacité à écouter la voix de la sagesse, à penser plus loin que la prochaine élection. Par notre trop courte vue, nous créons les conditions de notre propre extinction, et pour la première fois dans l’histoire de la vie sur cette planète, l’espèce en extinction est en mesure de prendre conscience de sa responsabilité dans le phénomène.
Dans cette longue chaîne en constante mutation, nous aurons été un maillon magnifique et horrible à la fois, capables du meilleur sublime comme du pire abject. Un maillon qui, s’il cède, sera peut-être l’ancêtre d’une autre bête, mieux équipée pour la frugalité, pour l’équilibre, pour l’empathie. Toutes ces qualités authentiquement humaines qui ne font pas le poids devant le reste de nous.
Nous ne sommes pas finis d’inventer. Peut-être qu’il ne tient qu’à nous d’accélérer le processus.
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PS : Merci à Cyrille Barrette pour l’inspiration. Je recommande chaudement la lecture de La vraie nature de la bête humaine, aux éditions Multimondes. L’auteur a l’art de faire paraître presque simple la complexité de la vie.
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