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« Ce n’est pas parce qu’ils sont nombreux à avoir tort qu’ils ont raison » Coluche

durée 21 juillet 2024 | 17h34
Pierre Jobin
duréeTemps de lecture 4 minutes
Par
Pierre Jobin

Sous cette forme humoristique, Coluche exprime une vérité que l’on oublie malheureusement trop souvent. Ce n’est pas parce qu’une idée a l’appui de la majorité de l’opinion publique qu’elle est vraie. Ce n’est pas non plus parce qu’une décision est majoritaire qu’elle est juste. Si la démocratie est un gage de bonne gouvernance, elle n’est ni un principe de vérité, ni un principe de justice.

Notons que trop souvent on confond démocratie et opinion publique. Or ce n’est pas la même chose. Car  l’opinion publique est une drôle de chose. Les sondages d’opinion sont supposés nous la faire connaître. Mais selon la façon dont les sondeurs posent la question, les réponses peuvent être très variables.

De plus, cette opinion publique est changeante. Au Québec il y a quelques décennies, la majorité s’opposait au mariage de personnes de même sexe. Aujourd’hui une majorité l’appuie.

Mais surtout, l’opinion publique consiste à demander à monsieur et madame tout le monde leur opinion sur une question à laquelle ils n’ont pas nécessairement réfléchi, pour laquelle ils n’ont jamais eu l’occasion d’en débattre et sur laquelle ils ne possèdent pas nécessairement toutes les informations pour se faire une idée éclairée.

Je ne doute pas que monsieur et madame tout le monde puissent avoir un excellent jugement et puissent ainsi formuler des opinions éclairées. Après tout, dans un procès criminel, nous confions à douze personnes tirées au hasard, sans connaissances particulières, le soin de déterminer la culpabilité ou non d’une personne. Mais nous leur confions cette responsabilité après leur avoir présenté les faits susceptibles d’éclairer leurs décisions et les règles de droit qui dicteront leur verdict. Et ils devront en délibérer et parfois longuement. Mais ils ne seront pas infaillibles pour autant.

La démocratie porte ainsi l’exigence d’éclairer les personnes, l’attention aux faits et aux données pertinentes. Elle exige aussi la délibération, le débat. Quiconque a déjà participé à une assemblée démocratique sait qu’une délibération peut faire changer des idées, faire émerger des solutions qui n’étaient pas sur la table au point de départ, faire évoluer les personnes participantes.

Mais pour un très grand nombre de personnes, la démocratie ne s’exerce que sporadiquement à l’occasion des élections. Nous participons ainsi à un système de démocratie de représentation. Nous ne participons pas directement aux décisions, mais nous élisons les personnes que nous croyons les plus aptes à prendre les bonnes décisions. Très peu d’entre nous ont eu cette réelle occasion de participer à des exercices de démocratie participative et directe, avec toutes les contraintes mais aussi toutes les opportunités que cela comporte.

C’est pourquoi une authentique démocratie respecte l’opinion minoritaire. Qu’elle lui reconnaît le droit de contester politiquement et parfois juridiquement l’opinion majoritaire et les décisions prises même démocratiquement. Les véritables démocrates évitent d’accuser ceux et celles qui s’opposent à l’opinion majoritaire de s’objecter à la volonté du peuple. Comme si cette volonté était monolithique et immuable. Quand on commence à répandre l’idée que le peuple ne s’exprime que d’une seule voix, il faut commencer à craindre qu’un régime autoritaire s’empare du pouvoir en prétendant être la seule voix du peuple.

C’est pourquoi Albert Camus affirmait que : « La démocratie, ce n’est pas la loi de la majorité, mais la protection de la minorité. » C’est également pourquoi en 1948, au sortir de la Seconde Guerre mondiale, devant les horreurs du régime nazi, les nations du monde se sont réunies autour de la Déclaration des droits de l’homme. Il s’agissait de mettre des balises afin que les gouvernements respectent la dignité de chaque être humain, qu’à chaque personne soient reconnues des libertés fondamentales comme celles de religion, d’opinions, d’association...

Alexis de Tocqueville dénonçait dès le 19e siècle la tyrannie de la majorité sur les minorités. Pour lui, la démocratie exige un équilibre des pouvoirs entre le législatif, l’exécutif et le judiciaire « Supposez, au contraire, un corps législatif composé de telle manière qu’il représente la majorité, sans être nécessairement l’esclave de ses passions ; un pouvoir exécutif qui ait une force qui lui soit propre, et une puissance judiciaire indépendante des deux autres pouvoirs ; vous aurez encore un gouvernement démocratique, mais il n’y aura presque plus de chances pour la tyrannie. » (1)

Ces chroniqueurs et commentateurs qui dénoncent le gouvernement des juges comme si ce contrôle judiciaire constituait un accroc à notre système démocratique oublient que l’exercice du pouvoir, même démocratique, doit toujours être encadré par la recherche de la vérité et le respect de la justice. Ils ont une très pauvre idée de la démocratie.

C’est également pourquoi on doit se méfier des politiciens qui s’attaquent à la presse, presse que l’on nomme souvent le quatrième pouvoir, après le pouvoir législatif, exécutif et judiciaire. Les gouvernements autoritaires et les tyrannies ont horreur des contre-pouvoirs et cherchent par tous les moyens à les museler ou de les discréditer.

Une société démocratique est bien plus qu’une société qui permet à sa population de voter à tous les 4 ans. C’est une société où il existe un équilibre entre les différents pouvoirs. C’est une société qui respecte les droits de ses minorités. C’est une société qui met protègent l’accès à l’éducation et à l’information pour l’ensemble de ses citoyens et citoyennes.

  1. https://www.laculturegenerale.com/tyrannie-de-la-majorite-tocqueville/

 

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