De l'origine de l'itinérance
Pierre Lachaîne
De l’origine de l’itinérance
Les débats en cours actuellement sur l’implantation ou la présence de refuges pour sans-abris à Montréal comprenant un centre de jour, un centre d’injection supervisée (CIS) ou des logements pour ex-sans-abris suscitent passion et consternation entre les citoyens habitant ces secteurs et les promoteurs derrière ces initiatives. C’est le cas des citoyens qui habitent le quartier Saint-Henri où la Maison Benoît Labre (MLB) a fait la manchette dès le printemps dernier. L’ouverture de cet organisme voué à l’aide aux plus démunis n’a pas fait que des heureux. En tête au chapitre des récriminations : son emplacement, à proximité d’une école primaire, d’un parc et d’un service de garde. Depuis avril dernier les épisodes d’incivilités, de consommation de crack en public, de violences multiples et tutti quanti se multiplient au grand dam des parents en particulier et des citoyens en général.
Le pire dans cette histoire est le braquage entre les promoteurs et les citoyens. Les promoteurs qui se font également les défenseurs des plus démunis accusent les citoyens de faire preuve d’intolérance à l’égard des utilisateurs du refuge. Rappelons que des épisodes similaires se sont produits dans d’autres quartiers. Ce fut le cas dans Cartierville où l’on a abandonné l’ouverture d’un tel refuge à la suite de mobilisations citoyennes.
Du côté des promoteurs et des intervenants qui œuvrent dans ces refuges, les citoyens font preuve d’intolérance en refusant toutes formes de cohabitation. Avouons tout de même qu’il est difficile voire impossible de cohabiter avec des gens dont la première règle de vie est de ne pas en avoir. Dès lors, tout est permis, déféquer en public n’est plus qu’un détail.
Nous possédons très peu de données sur la composition de la clientèle de ces refuges. Le premier dénominateur commun étant qu’ils sont majoritairement des sans-abris. Sont-ils tous toxicomanes? Nous savons que la fonction première des (CIS) centre d’injection supervisée est d’éviter les surdoses mortelles en administrant de la naloxone pour ensuite prévenir les services d’urgences. Ils ne sont pas là pour analyser la composition de la substance injectée à moins que l’usager en fasse la demande. En d’autres termes, dans cette optique, rien ne permet de prétendre qu’il y aura une diminution de la consommation. Par conséquent, il est raisonnable de croire que nous ferons face à la même problématique de consommation dans les années à venir.
L’historien Hugues Théorêt a étudié le phénomène des instituts psychiatriques, en particulier le cas de l’hôpital Saint-Jean-de-Dieu fondé par les sœurs de la Providence en 1873. En 1949, 6 000 patients y sont hospitalisés et sur lesquels on expérimente la lobotomie, l’hydrothérapie et les électro-chocs ainsi que différents moyens de contention au nombre desquels figurent menottes, camisole de force et autres moyens inhumains.
En 1961, à la suite d’un mouvement occidental plaidant en faveur de la désinstitutionalisation des aliénés. La désinstitutionalisation des patients psychiatriques est mal préparée et se fait de manière drastique. Elle culmine avec la publication en 1961 du livre coup de poing de Jean-Charles Pagé Les fous crient au secours! Le témoignage de ce patient admis de force à l’asile psychiatrique jette « une tache noire » sur le mouvement psychiatrique.
Ainsi, des milliers de patients psychiatrisés seront libérés avec très peu de suivi, le plus souvent avec une liste de médicaments d’ordonnance et un chèque d’aide sociale.
Maintenant, un peu plus de six décennies ont passé et qu’en est-il? Sommes-nous en mesure d’émettre des constats? La pénurie de logements ressort parmi les différences les plus imminentes. Elle n’existait pas il y a soixante ans. Est-ce donc dire que toutes les personnes à revenu modeste pouvaient se loger à un prix modique? Nous n’irons pas jusque-là, mais une chose est certaine cela n’avait rien à voir avec la situation actuelle.
La pénurie de logements que nous connaissons actuellement est devenue une véritable crise sociale. L’incurie des trois paliers de gouvernement en matière de construction et d’entretien des logements sociaux est en cause. Le vide juridique entretenu concernant les airbnb, les rénovictions et les transformations d’immeubles locatifs en condominiums auraient dû faire l’objet d’une surveillance beaucoup plus stricte.
Un autre constat concerne la disponibilité des drogues dures. Elles sont maintenant accessibles sur ordonnance comme sur le marché noir. Pis encore, les trafiquants ont mis au point des drogues de synthèse infiniment plus puissantes, le protonitazèpyne est 25 fois plus puissant que le fentanyl.
Il nous apparait difficile d’émettre un jugement sur ce qui se passe dans les rues de plusieurs de nos villes voire de nos villages. Une partie de la population est livrée à l’impératif de la consommation sans autre avenir que de s’assurer d’avoir la dose du lendemain. Des pouvoirs publics qui ne sont pas en mesure de comprendre l’incompatibilité entre les refuges et les institutions d’enseignement, incapables de réaliser qu’il est hors norme pour des intervenants en CPE d’avoir à nettoyer un parc pour ramasser les seringues usagées avant que les enfants n’y aient accès.
Bien sûr, du côté du ministère de la Santé et des Services sociaux on affirme avoir des normes pour gérer la situation des refuges. Mais ces normes sont tellement floues qu’elles embrouillent les cerveaux et obstruent l’optique de manière à transformer la lunette en kaléidoscope.
Nous avons un immense respect pour les intervenants, ces travailleurs qui sont dans la rue et qui vivent quotidiennement des situations invraisemblables. Des drames humains qui se reproduisent encore et encore sans pouvoir vraiment les comprendre sauf peut-être de mettre cela sur le compte de la misère humaine. Lorsque nous pensons au clivage que représente la pseudo cohabitation entre les gens qui fréquentent les refuges et les élèves du primaire ou les enfants d’un CPE, nous réalisons à quel point il nous faudra une mine infinie de courage.
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