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Soif d'éternité

durée 23 février 2025 | 12h00
Eliane Vincent
duréeTemps de lecture 4 minutes
Par
Eliane Vincent

Soif d’éternité

J’ai eu récemment une conversation avec une vieille dame sur la vie éternelle. Elle affirmait sa foi profonde en une lumineuse énergie ou chacun se fondrait après le dernier souffle.

Les humains ont soif d’éternité depuis la nuit des temps. Ce qui se passe après la mort est angoissant, et nous trouvons du réconfort à l’idée que la vie ne s’arrête pas là.

La notion de l’âme qui survit au corps ne date pas d’hier. Dès le Néolithique — c’était il y a plus ou moins 10 000 ans —, les humains érigent des dolmens pour inhumer leurs morts, avec un trou dans la porte pour laisser passer les âmes. Les Égyptions de l’Antiquité transforment leurs défunts en momies pour leur assurer la vie éternelle. En fait, toutes les civilisations, toutes les religions ont leurs rites funéraires et leurs croyances sur ce qu’il advient de l’âme, ce moi profond, une fois l’enveloppe terrestre hors d’usage. De la résurrection des corps aux réincarnations multiples, en passant par les esprits protecteurs, il y a mille façons d’en parler. Mais toujours, cette soif d’éternité.

Il n’y a que nous pour s’en préoccuper, d’ailleurs. Si les éléphants se rendent dans un « cimetière » pour mourir en compagnie de leurs semblables, je doute qu’ils pensent ainsi assurer le salut de leur âme. Je me sens même un peu sacrilège de l’évoquer. Ayant grandi dans la foi catholique, on m’a bien appris que la vie éternelle est le privilège des humains et de nulle autre créature. Les Premières Nations ne seraient pas d’accord avec ça, d’ailleurs.

Et moi non plus, quand j’y pense. Au moment de nous infliger le Déluge, Dieu n’a-t-il pas admis dans l’Arche toutes les créatures terrestres ? Il y a de quoi réfléchir... Il faut dire, puisqu’on parle de religion catholique, que le Paradis qu’on m’a enseigné m’a toujours laissée perplexe. Passer mon éternité à chanter des cantiques m’a toujours paru un peu ennuyeux. Et puis l’enfer, ce corollaire du paradis, cette notion de récompense et de punition... il me semblait qu’un dieu d’amour aurait dû être au-dessus de tout ça.

Bref, j’ai beaucoup cherché à comprendre l’incompréhensible. J’ai étudié plusieurs religions, plusieurs spiritualités d’un peu partout, mais il y a tant de vérités, tant de certitudes contradictoires entre les peuples, comment y voir clair ? Et puis un jour, j’ai appris les quelques rudiments de chimie qu’on apprend au secondaire, et j’ai commencé à voir la vie éternelle là où on ne me l’avait jamais montrée.

Mon éternité

Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme, a dit un jour Antoine Laurent de Lavoisier, chimiste de son état. Vers la fin du 18e siècle, il mène des expériences qui lui prouvent que les éléments qui composent la matière se combinent et se défont, mais jamais ils ne disparaissent. L’arbre qui tombe dans la forêt nourrit les insectes, qui nourrissent les oiseaux, qui nourrissent... c’est sans fin. Les molécules et les atomes passent d’un état à l’autre, brûlent, s’évaporent, se digèrent à l’infini, depuis le Big Bang et jusqu’au bout de l’Univers.

Elle est là, ma vie éternelle. Dans ces atomes de carbone et de calcium qui me composent. Atomes de fer ou d’azote, qui retourneront d’une façon ou d’une autre dans la chaîne de la vie quand je n’y serai plus. Je suis née des éléments et j’y retournerai, sans conscience, mais toujours partie de cet Univers en mouvement perpétuel. Je ne saurais concevoir une autre éternité que celle-là, et d’y songer m’apaise. Je me sens connectée à la vie, et ça me fait du bien.

J’ai dit tout ça à la vieille dame, en ajoutant le plus important, qui est que ma vie éternelle ne vaut pas mieux que la sienne, puisqu’on ne saura le fin mot de l’histoire qu’après, quand il sera trop tard pour en parler. Elle a été d’accord avec moi là-dessus, et on a ri, chacune gardant sa propre vie éternelle bien au chaud dans ses convictions.

L’éternité maintenant

La soif d’éternité doit être étanchée, et tout existe, tant qu’on y croit. Cette vieille dame, c’était ma mère. Elle a laissé aller son dernier souffle au moment précis où le premier flocon de la tempête tombait sur le doux pays, par un dimanche de Saint-Valentin où nous aurions dû manger avec elle une fondue au fromage dont elle rêvait depuis des semaines.

Je ne sais pas qui de nous deux avait raison à propos de la vie éternelle, mais je sais qu’elle est partie en sachant que son étincelle d’énergie allait entrer dans quelque chose de plus grand qu’elle, quelque chose de bienveillant, de paisible, d’aimant. Le reste n’a aucune importance.

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