Quelque part sur le «macadam»...
François Drouin
Certaines personnes nous touchent. Par leur courage, leur détermination, leur talent, leur sourire, elles deviennent des sources d’inspiration. Ces personnes portent en elles ce quelque chose qui nous fait défaut. Cette chose, que, bien souvent, nous n’avons pas (encore) développée.
C’est le cas de Mathieu Lavoie-Dion. J’ai rencontré «Mat», il n’avait pas 25 ans, mais déjà il était médaillé des Gants d’argent, propriétaire de son école de boxe, conseiller en sécurité financière et travailleur acharné.
À son âge, je frôlais le neuro-végétatisme. Ça m’a frappé comme son poing dans un sac de sable.
Sa force, son élocution et son intelligence m’ont charmé. Ses doutes aussi. Mathieu est un monstre de puissance et de force, d'orgueil aussi, mais quand vient le temps de parler, parler de lui, il s’efface, il se fait discret, tout petit. T’es où Mat ?
Alors dimanche, quand Facebook m’a affiché son «recap» du Défi Everest, lui qui a relevé le Macadam Ultra avec toute l’intensité qu’on lui connait, je savais que ce serait une lecture intéressante. Mais surprise, quelque part dans cette satanée côte St-Pierre, Mathieu Lavoie-Dion est sorti de sa coquille. Quand il a écrit, il a parlé de lui.
Mathieu, comme toujours, a été sincère. Il a fait fi de ses inhibitions, il s’est ouvert publiquement, il faut apprécier ce cadeau. Le gars ne se livre pas facilement. Il a écrit avec son coeur. Sans censure. D’une traite.
Tu m’épates mon ami. Le jour où je relèverai le Macadam, sache que c'est ton texte qui m'y aura poussé (comme un coup de pied au c...).
AJOUT : Ce qu'Yvan L'Heureux (et son armée de bénévoles) a mis sur pied est un véritable joyau. Ce que le Défi apporte à la région, et à ceux qui le relève, est digne de mention et se doit d'être souligné. Chapeau bas mister L'Heureux.
Le «petit» mot de Mathieu :
Je dois avouer que j’ai pris naïvement ce «challenge» à la légère. Mais ce n’est peut-être pas le bon mot. Dans ma tête, j’allais faire une petite fin de semaine de détente sociale ponctuée d’activité physique. Je ne pouvais pas être plus dans le champ que ça. Marie-Claude était stressée, anxieuse, et avec raison, car nous n’avions pas bougé de l’été. Aussi bien dire que nous n’étions pas prêts, avec nos souliers troués et notre poids en trop des vacances.
Le vendredi, 14h, j’observe les gens autour de moi. Certains ont l’air de vraies machines de guerre, d’autres sont organisés pour une mission style «Indiana Jones», d’autres ont l’air vraiment déterminés, certains sont nerveux, d’autres fébriles. Et il y a nous, les touristes, qui arrivons presque en retard organisés en broche à foin, avec des «runnings» finis, des bas de l’Aubainerie et mes 4-5 bières de la veille. Je commençais à avoir peur. Je commençais à comprendre que j’avais un peu beaucoup sous-estimé le «challenge»…
15h, mon père, Gilbert Dion, vient me souhaiter bonne chance tout juste avant de partir, je ne savais pas encore à quel point cette visite allait m’aider. 15h01, c’est le départ, chacun a son plan de match, certains suivent une vitesse précalculée avec leur montre intelligente. Certains sont en mode «petit train va loin». Mais personne ne sait encore vraiment à quoi s’attendre, peu importe le planning. Mon plan à moi, c’était de marcher avec M-C, on avait un petit rythme, la cadence du groupe était juste débile. Je me disais juste «on marche tranquillos et on s’amuse». Même là, j’étais encore dans le champ. On ne peut pas marcher «ben relaxe» et ne pas se donner à 100%, quand on a une Christiane Plamondon ou une Carol-Ann Dionne qui s’arrachent le cœur à chaque montée, mais qui continuent de sourire. On ne peut pas, si on est honnête avec soi-même, se contenter de 99%. Le Macadam Ultra, c’est un appel aux tripes.
Aux 3-4 montées je quittais M-C et partais de mon bord à un rythme plus élevé jusqu’à ce qu’on se retrouve à nouveau. C’est là que je me suis mis à courir. TOUT le monde m’a dit de ne pas courir. Je suis un entêté, j’aurais dû écouter. Même France, qui commence à me connaitre, m’avait averti plusieurs fois. Autour de 25 montées, je commence à cramper. Il en reste 125. C’est là que j’ai compris que je devais prendre ça au sérieux. J’ai compris que c’est un défi pour la tête, pour l’esprit. Que peu importe la condition physique, la force au bench-press, le temps au 10km, le pourcentage de graisse, tout ça n’a plus de rapport. Le dépassement de soi, le sacrifice et la souffrance sont incontournables, que l’on soit jeune ou vieux, entrainé ou sédentaire, vaillant ou lâche.
Après 25, je vais m'assoir dans l’abri d’Acier Léger Experts, un peu découragé. Les autres ont l’air frais, moi je marche en pingouin, ça va mal. Ce n’est pas vrai que je vais abandonner. En étant sensible aux crampes, je devais ralentir le rythme, puis éviter la chaleur. Je me suis donc résolu à travailler toute la nuit et ralentir le rythme le jour. Elle était belle la nuit, fraiche. La première a vraiment été agréable. Mes amis de nuits, Dany (Pelletier) et Claudin (Berger), m’ont permis de rester éveillé. Merci à vous deux.
Au petit matin j’avais pris le «lead» du nombre de montées. Mais je savais que ce serait de courte durée, quand j’ai vu arriver Antoine et Marie-Josée (Bélanger), qui avaient un rythme terrible. La journée de samedi a été pénible, souffrante. Fatigue mentale, les genoux «scrap», le pied droit fragile d’avance me faisaient vraiment mal. Les ampoules et l’irritation commençaient aussi à se mettre de la partie. J’avais une belle ampoule, grosse comme une petite pomme, sous le pied. Par chance qu’Yvan avait apporté son matériel de couture… Sans blague, merci, cette «réparation» m’a vraiment remis sur pied. Et c’est là que j’ai vraiment atteint le 2e stade du «plaisir». C’est là que je réalise que, le vrai fun là-dedans, c’est d’avoir mal à vouloir crever, mais de se résoudre à continuer. Illogique et paradoxal oui… mais faut le faire pour le réaliser. Faut être capable de faire «fermer la gueule» aux bobos. Le cerveau est capable de faire ce «cutt-off» là. Et quand on le fait, c’est un sentiment de puissance, de gloire, parce qu’on prend le contrôle de notre corps. On se sent en vie.
France m’a permis de revivre jusqu’au midi. Rien de mieux qu’un bon traitement physio fait avec amour !
Mon frère Raphael et ma belle-sœur Kym me rendent visite à midi avec mon neveu William. Tout un coup de pied au cul encore. Ils ont fait un aller-retour à Rivière-du-Loup pour venir me voir cinq minutes et me dire : fais tes 150. Mettons que je n’avais plus le choix. Merci à vous trois.
J’ai dormi 45 minutes sur un banc du Pavillon Taché samedi après-midi. Le meilleur «power-nap» de ma vie. Puis, réparation efficace de Mylène Dubé. Pendant la journée j’ai pris un rythme lent, même si je pouvais aller plus vite. Je gardais du gaz pour la nuit. Le soir, ça «feelait» vraiment moyen, diarrhée et maux de cœur. J’ai «toffé» ça un bout, puis Stéphanie, Sebastien, Patrick (Boucher) sont venus monter avec moi, ça m’a permis d’aller jusqu’à 23 h 30 environ. C’est là que j’ai eu un solide «down», quand j’ai commencé à voir des serpents pis les tuiles de trottoir léviter, je me suis dit que je devais aller dormir. Gros dodo de 45 minutes. Quand je reviens dans la côte, toute une surprise. Patrick Boucher et son fils Thomas, mon élève en sport-étude depuis 4 ans, m’attendaient au scan pour monter avec moi. Je peux dire que ça, ça m’a donné un solide «boost». Thomas arrivait de travailler et recommençait à 7 h du matin, mais il a pris la peine de venir m’encourager quand même. Ça m’a touché, solide. Merci les gars.
Après cette visite, je prends un bon rythme. 12-13 montées, puis un autre petit «down». Martin, qui s’est occupé de nous toute la nuit, m’a offert son matelas de sol et une couverte. Power-nap, 30 minutes. Puis après, c’était reparti jusqu’à la fin. Vers 3-4h, il devait me rester 25-30 montées. Je me suis juste dit : je «clenche» le plus vite que je peux. Quand les gens du Défi Everest sont arrivés, ça m’a donné un «boost». Beaucoup nous encourageaient. La musique, les sourires, le dynamisme des équipes et de l’évènement ont été un grand support moral. J’ai terminé mon Macadam (150e montée) vers 9h-9h30. Puis j’ai refait quelques montées à un rythme léger pour encourager les autres et savourer l’évènement. Ce sentiment de réussite est incomparable.
Après je me suis mis en mode «réparation des dégâts». Avec une physiothérapeute (dont je ne me souviens plus le nom) de la Clinique Physio Frontenac, et la généreuse Anne. Puis j’ai réalisé que ma Marie-Claude est une solide guerrière. Ce que j’ai vu d’elle le dimanche a changé l’image que j’avais d’elle. 30 degrés, 13h, gros soleil, 46h de marche en dénivelé derrière elle, elle a les deux genoux complètement finis, elle descend à 0,0001 m/h à cause de la douleur. Luisante de sueur, les yeux fatigués, elle continuait. «Je vais l’avoir mon 100, crisse ». Elle me répétait ça. Elle m’a rendu vraiment fier.
Puis, j’ai observé les Macadam. D’où vient toute cette volonté ? C’était pas 1 M $ ou une médaille olympique qui était en jeu… Ce masochisme extrême est tout simplement inexplicable avec la logique.
On avait quelque chose à se prouver à nous-mêmes. Même si on le savait déjà. Le savoir et le faire sont deux choses bien distinctes. Pour ma part le Macadam a été une évasion. Le moment de l’année où on a le droit de se défoncer, de se surpasser. L’être humain est sédentaire depuis seulement 11 000 ans. Nous avons dans nos gènes un besoin viscéral de bouger, et notre quotidien l’inhibe. Le Macadam, c’est une évasion de 48h de nos responsabilités, de nos inhibitions et de notre intellect. La seule chose que tu as à te préoccuper quand tu es dans la côte, c’est de mettre un pied en avant de l’autre. Sans vraiment savoir pourquoi.
Mathieu Lavoie-Dion
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