Mouches d’été, Salmo salar et des humains
François Drouin
Ma foi dans l’être humain était déjà fragilisée bien avant la pandémie, mais depuis mars 2020, je n’entretiens plus vraiment d’espoir.
Et pourtant.
On trouve parfois, dans la cendre froide, une braise encore chaude.
Depuis la pandémie, j'y suis plus sensible.
Je suis un passionné de pêche (sauf la pêche à la traine que j'abhorre). Taquiner le poisson avec mon père, mes enfants, l’amoureuse ou encore des amis (salutations spéciales ici à David et Mathieu) est précieux pour moi. En opposition, me retrouver entouré d’inconnus à la pêche a toujours été quelque chose de rébarbatif. La pêche à la mouche est un véritable ressourcement. Un état de symbiose avec la nature où mon esprit fait corps avec l'environnement et décroche complètement du quotidien. Me retrouver, je suis un antisocial fini, avec des étrangers dans ce genre de moment demande un effort que j'hésite à faire. #jesuissauvage
Et pourtant.
Il y a dans la pêche au saumon ce quelque chose qui me fait retrouver confiance dans l'humain.
En 2020, alors que je me trouvais à la fosse 32 de la rivière Matane pour y pêcher le saumon pour la toute première fois, un passant m'a volé deux boites à mouches (@#$% !!!). Je n’avais que ces deux coffres, je me suis donc retrouvé bredouille, dépouillé de mes mouches. Un pêcheur témoin de mon malheur n'a pas hésité une seconde à m'offrir une dizaine de ses propres mouches (!) en plus de quelques conseils pour le néophyte que j'étais. Les noms ne vous diront rien si la pêche à Salmo salar vous est étrangère, mais c’étaient d'excellentes mouches (Undertaker, Black Bear Green Butt, Lord Spey, Muddler blanc, Canuel, Bomber blanc, etc). Et c’est avec ce muddler blanc que j’ai piqué mon plus gros saumon à ce jour. J’ai malheureusement oublié son nom (le pêcheur, pas le saumon), mais s’il se reconnait, un immense merci encore !
L’an dernier, toujours sur la Matane, alors que j'étais seul avec l’amoureuse et les enfants à la fosse 72, trois retraités sont débarqués. Ils m’ont observé légèrement en retrait. Au bout d’un moment, l’un d’eux m'a suggéré un nouveau lancer, le lancer roulé dynamique. Pour les amateurs de pêche à la mouche, c’est un peu comme un double lancer roulé, mais suivi d’une projection avant complète une fois que la mouche touche l’eau. Ils ont pris le temps de me guider, de me corriger. Bref, même si je «mouche» depuis des décennies (truite, achigan et brochet), auprès de ces trois-là, je me suis enrichi d’un nouveau lancer. Généreux, ils m’ont aussi laissé effectuer plusieurs essais alors qu’une rotation entre pêcheurs est pourtant la norme. «Vas-y le jeune (un jeune de 49 ans !), tu l’as, tu l’as!». Je n’ai pas piqué de saumon cet après-midi-là, mais quel beau moment de pêche.
Cette année, sur les conseils de William Lajoie de l'Atelier du Moucheur, je me suis dirigé sur La Mitis en espérant me trouver une fosse où j'allais être seul. Quelle belle rivière ! Après avoir placé quelques mouches en solitaire dans les fosses 11, 13 et 29, je me suis retrouvé à la fosse 33 où j’ai été rapidement rejoint par un vieux couple de pêcheurs. Ces derniers n’ont pas hésité à me pointer trois saumons que je n’avais pas vus et surtout à m’expliquer la meilleure technique pour les faire réagir à la sèche, corrigeant un mauvais plis que je traine depuis 3 ans. La sèche, tu pêches en remontant la rivière, contrairement à la noyée. Une mère et son fils nous ont ensuite rejoints. Pas de politique, pas de droite économique, pas de courant woke, pas de Bock-Côté, pas de chroniques clivantes de Québecor, pas de religion. Une rivière, quelques saumons, cinq cannes et beaucoup de partage.
Puis en aout, j'ai opté pour la magnifique petite rivière Port-Daniel (dans la réserve faunique de Port-Daniel) où un maximum de seulement quatre pêcheurs peuvent lancer leur soie. J’ai réservé pour deux même si je me doutais bien que l’amoureuse me ferait faux bond à 3 h 30 le matin quand je quitterais le lac Brulé pour la rivière. Je me suis dit qu’au pire, je me retrouverais avec deux inconnus plutôt que trois. Finalement, il n’y a eu qu’un autre pêcheur, Michel, qui comme moi avait réservé pour deux. De 4 h le matin jusqu’à 10 h 30 puis de 15 h 30 jusqu’à 20 h 30, nous avons pêché la fosse numéro 6 en duo. En fin de journée, nous avons même bravé un orage assez violent (deux passionnés qui balançaient leurs perches de carbone alors que les éclairs leur passaient au-dessus de la tête, haha). Nous avons discuté de nos passions, de celles de nos enfants, nos rencontres avec nos blondes. Il connait un p'tit bout de ma vie, et moi de la sienne. Lui se décrit comme un « changeux de pièces à la STM » et moi un comme un « poseux de mots chez Info Dimanche ». Nous étions faits pour nous entendre ! Et qui sait si on ne se retrouve pas sur la Port-Daniel encore en aout prochain. Michel, si tu me lis, tu m’en verrais ravi !
Plus sérieusement, je me suis déconnecté des réseaux sociaux pendant mes vacances et parallèlement, je dirais même qu’ironiquement, ça m’a permis de me reconnecter à l’humain, aux humains. Après des années à modérer les commentaires sur infodimanche.com, sur notre page Facebook, à parfois masquer des «amis» toxiques de ma propre page, c’est encore en personne que l’humain est à son meilleur. C’est surtout en personne que l’échange est à son mieux. La pêche au saumon est exceptionnelle, mais les rencontres que j’y fais le sont certainement tout autant, sinon plus.
***
Petit conseil, sur la Port-Daniel, bien qu’on recommande d'utiliser de petites Green Butt et Undertaker, essayez une Pompier* dans sa forme originale ;-) ;-) ;-)
*C'est la mouche qui se trouve sur le manche en liège de ma canne dans la photo qui coiffe ce billet
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