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Les racines de l'arbre

durée 22 février 2023 | 15h33
François Drouin
duréeTemps de lecture 4 minutes
Par
François Drouin

Je suis de la génération X. Une génération à laquelle je ne me suis que très peu identifié, hormis cette dévotion pour le travail.

Je ne suis pas un amateur de radios parlées, encore moins de celles qui se spécialisent dans l'opinion et le commentaire. Je suis suffisamment confiant dans les miennes pour ne pas avoir besoin de m'en faire rabâcher par des gens qui ne sont pas foutus de faire l'effort de réfléchir avant d’exprimer les leurs. Je ne me sens pas menacé par l'immigration ni par l'élite et je ne me sens pas persécuté par mon gouvernement. Je n'ai pas l'impression d'être pris en sandwich entre les boomers et les milléniaux.

J'apprécie la différence, je la recherche aussi. Me dépayser est une excellente façon de me faire plaisir.

Aussi, mes préoccupations me semblent plus proches de celles des Y que des X. Contrairement à d'autres, je ne les vois pas comme des licornes. Je les ai vus se battre avec un carré rouge accroché à la poitrine. Ma génération, j'ai 51 ans, pendant les jours de grève dans les années 80/90, allait prendre une bière à la brasserie du coin plutôt que de descendre dans la rue. Du grand courage.

Je ne reconnais pas une «génération faible», au contraire, elle a su se battre pour ce en quoi elle croit, et pourtant, on la dépeint comme une génération de Calinours. Peut-être parce qu'elle aspire à un monde autre que celui auquel nous l'avons préparé. Et ce n'est certainement pas dans les chroniques débilitantes des journaux de Quebecor qu’ils y trouveront une terre d’accueil.

Par contre, c'est une génération qui me semble perdre ses moyens lorsqu'elle vit de l'inconfort, son inconfort. Et ça s'est poursuivi chez la génération suivante, les Z, nés après 2000.

L'inconfort s'exprime de bien des façons. Souvent dans une dignité malléable.

Prenez le mot en «N» à l'Université d'Ottawa. La réaction étudiante épidermique face à la professeure Verushka Lieutenant-Duval a été au-delà de l'indignation. Elle a plutôt donné dans l'intimidation. Autant d'agressivité, de haine. L'enseignante a fait face à une véritable meute déchainée.

Et puis lundi, cette chronique de Patrick Lagacé dans La Presse, «Cette époque SUPER VIOLENTE». Une étudiante de l'UQAM a écrit le mot «supérieur.e» dans une dissertation et l'enseignant, mal lui en prit, a répondu «Bon travail dans l’ensemble, attention à la mise en forme et cessez l’écriture “inclusive”.» Réaction de l'étudiante ? «J’ai trouvé ça super violent, comme réponse.»

S U P E R V I O L E N T

Pas choquant, pas décevant, non, juste... «super violent». Une hyperbole.

Les Z ont-ils l'épiderme aussi sensible ? Une étudiante ne fait pas une génération, c'est vrai.

Mais plusieurs réactions épidermiques me sont revenues en mémoire. Les étudiants qui ont porté plainte contre leurs collègues grévistes lors du printemps érable, qui ont déposé des injonctions pour forcer les lignes de piquetage auraient dû me mettre la puce à l'oreille.

Et puis ce matin, ce communiqué de presse de la Fédération nationale des enseignantes et des enseignants du Québec (FNEEQ-CSN) en lien avec des chargés de cours à l’Université du Québec à Rimouski (UQAR).

«Le prof a un niveau mental d'un élève de troisième année.»
«Il doit retourner à son pays, sale race.»
«Donnez-lui de l'argent pour qu'elle change de couleur de vêtements.»
«Bro what the fuck, mon chien explique mieux.»

Ces propos orduriers, haineux et racistes, sont tirés textuellement de certaines appréciations anonymes faites par des étudiants de l’UQAR, au terme de leurs cours, écrit le syndicat. Ils ont été remis aux professeurs, sans filtre.

J'aimerais avoir l'avis de l'étudiante de l'UQAM, comment qualifierait-elle ces commentaires, «archi-méga-violent» ?

On me dit que les milléniaux imputent aux boomers un héritage empoisonné dont ils cherchent à se défaire, que cette génération ne cherche que des «like», qu'elle privilégie uniquement son confort. Moi, je la trouve ambitieuse, fonceuse, entrepreneuriale. Je trouve qu'elle a l'audace de respecter ses propres valeurs, ce que ma génération a raté, qu'elle se respecte, elle.

Mais elle doit travailler sur sa fragilité émotionnelle. Une fragilité qui s'est aussi transmise à la suivante, on le voit, et qui s'exprime peut-être même de façon plus virulente.

Une fragilité qui renvoie à une forme de laideur. Une laideur que les générations précédentes aux milléniaux et Z ont aussi en commun.

J'écoute les histoires de mes deux «Z» à la maison, je suis privilégié, car ils sont deux exemples d'intelligence, de tolérance et de bienveillance. Mais dans leurs histoires, il y a des récits de «collègues» de classe racistes, homophobes et violents, protégés par des parents incompétents. Il y a aussi ces mots durs, ces accusations implacables d'intolérance, véritables condamnations à l'endroit de profs.

Elle est là, la continuité. Une partie de notre héritage.

Je rêvais d'une génération portée par l'ouverture, la tolérance et la bienveillance. Ce n'était définitivement pas la mienne, est-il trop tard pour les Z ?

Qu'on cancelle un agresseur, je n’ai pas de problème, c’est sur la base d’un crime reconnu. Qu’on se regroupe en masse pour canceller une enseignante sur la base d'un inconfort pour un mot qui a toute sa pertinence en classe, c’est honteux.

C’est même violent.

*****

P.S. Dans une société où plus de 50% des gens éprouvent des lacunes importantes en littératie, l'écriture inclusive ajoute un défi supplémentaire. L'utilisation du point médian contribue bien plus à la difficulté de compréhension d'un texte qu'à véritablement démasculiniser la langue française. Réduire les inégalités est une initiative louable et même souhaitée, mais je le rappelle, plus de 54 % des 15 ans et plus au Bas-Saint-Laurent n'atteignent pas le niveau 3 de littératie. La solution d'une écriture inclusive ET accessible ne passe sans doute pas par le point médian.

 

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