La fausse bonne idée de la SÉPAQ
François Drouin
Au Québec, la gestion et la conservation de 24 parcs nationaux, de 13 réserves fauniques, d'une partie de l'ile d'Anticosti et de 8 établissements touristiques sont assurées par la Société des établissements de plein air du Québec, communément appelée la SÉPAQ.
Pendant des décennies, au siècle dernier, les clubs privés ont régné en rois et maitres sur des pans du territoire de la belle province. La loi sur les Parcs adoptée par le gouvernement de René Lévesque en 1977 et découlant de révolution tranquille a permis de «décluber» le territoire, à l'exception de Boisbouscache dans les Basques. L'idée était de redonner cet accès à tous les Québécois et non plus aux bien nantis.
Aujourd'hui, l'un des principaux mandats de l'organisme qui gère ces territoires est de voir à leur préservation, mais aussi, et surtout, d'établir des activités récréatives pour tous. Au fil des ans, et des gouvernements, le mandat de la Société a été modifié, ajusté. On a voulu la rentabiliser et pour ce faire, la SÉPAQ a ouvert ses territoires au plus grand nombre, n'hésitant pas à abattre des arbres, asphalter et remodeler ses sites.
Des chalets EXP en contreplaqué au prix d'une chambre dans Manhattan à NYC ont vu le jour, des chalets construits sur l'eau ou à proximité de rive se sont ajoutés. Et c’est sans parler des sites de camping où la promiscuité est plus importante que sur certaines rues de la ville. Ces terrains accueillent tellement de gens que la Société s'inquiète maintenant de la répercussion des nombreux feux de camp sur la santé des usagers. La SÉPAQ divise, découpe et organise ces territoires.
Au fil du temps, les parcs et réserves de la SÉPAQ sont devenus des véritables petits parcs d'attractions. La préservation ? Parlez-en aux coupes forestières qui y ont cours ! Oui, ça buche dans les parcs et réserves. La dernière excuse en liste : les coupes forestières favorisent le renouvèlement de la forêt. Misère.
La SÉPAQ se propose même d'asphalter certaines voies d'accès. Misère. Clairement, ça manquait d'asphalte dans le bois. Bonjour le mandat d'immersion en nature...
Le volet de préservation de la SÉPAQ n'est plus de protéger l’ensemble d’un territoire, mais des parcelles de ces territoires, une forme de microprotection. Ne posez pas le pied ici, mais pendant ce temps, buchons la montagne voisine.
C'est fantastique le parc du Bic, le parc national du lac Témiscouata, mais nous sommes affreusement loin d'un territoire sauvage, de la fameuse «wilderness». La SÉPAQ a cédé aux chants des sirènes de l’expansion. Le plein air a fait le plein d’amateurs avides de découvertes et d'activités. Nous sommes une société d’hyperconsommation et ce secteur n’y échappe pas. On privilégie le divertissement plutôt que l’immersion dans un milieu naturel.
Ce n'est pas dans un parc de la SÉPAQ, ni même une de ses réserves que l'ont peut vivre une expérience d'immersion totale. Envie de randonnée ? On peut même faire suivre vos bagages d'un refuge à l'autre pendant que le sentier que vous emprunterez longera une route forestière et que le gazouillement des oiseaux et le ruissèlement des ruisseaux seront entrecoupés par le vrombissement des moteurs de poids lourds transportant des billots de bois.
Je vous propose donc un peu de lecture. Un article magnifiquement illustré de Marc-André Pauzé* dans l'Actualité. L'auteur, photojournaliste et aquarelliste de talent, raconte son dernier périple au parc provincial Quetico en Ontario. Contrairement au Québec, l'Ontario s'est dotée de (huit) parcs sauvages. L'idée est même ensachée dans une loi adoptée en 2006.
En gros, une fois passé l'accueil, vous êtes livrés à vous-mêmes. Le moyen de locomotion accepté ? Votre paire de jambes, un canot, ou un kayak. Allez lire l'article.
La fausse bonne idée de la SÉPAQ, c'est ce «é» dans son nom pour «établissements», il serait peut-être temps de le remplacer par «écologie». En attendant, la Société se gouverne comme si ce «é» était pour économie.
Tout n’est pas mauvais. La démocratisation de certains territoires, l’accès incroyable à des sites qui nous étaient interdits ont permis à des générations d’amants de la nature de s’y retrouver. Mais comme le veut l’expression, trop c’est comme pas assez. Le Québec doit mieux protéger ses territoires, ce qui inclut de les préserver de la patte aux griffes acérées de l’industrie forestière. Une industrie qui semble avoir l'oreille**, et pas que, de nos décideurs.
*Transparence totale, Marc-André est un ami (que je vois trop peu souvent). Nous partageons ensemble plusieurs valeurs liées à la nature, au bush, à la wilderness. Marc-André est un pur, dans le sens noble du terme. Nous devrions prendre le temps de le lire et de l’écouter.
**Trois ans après s'être retiré de la vie politique, l'ancien ministre péquiste de Ressources naturelles du Québec, Guy Chevrette était nommé président-directeur général du Conseil de l'industrie forestière du Québec...
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