X
Rechercher
Nous joindre

L'Isle-Verte, l’après parade

durée 23 janvier 2025 | 00h00
François Drouin
duréeTemps de lecture 3 minutes
Par
François Drouin

L’an dernier, plusieurs médias ont fait leurs choux gras du dixième anniversaire de la tragédie de L’Isle-Verte. Témoignages, portraits, reportages, tous lourdement chargés de photos et de vidéos d’archives, le but était de nous rappeler le drame.

Un rappel ? Qui, parmi les témoins et les victimes du drame avait besoin d’un rappel aussi froid et sensationnaliste ? Qui ?

Certains médias et collègues ont consciemment ignoré la littérature sur les contrecoups qu’ont ces images sur les personnes touchées, je pense ici aux témoins, intervenants et familles des victimes. Le phénomène de reviviscence est pourtant bien documenté.

Est-ce que les Isle-Vertois avaient besoin de revivre la nuit du 23 janvier 2014 ? Non. Est-ce que les survivants, comme Colette Lafrance sauvée in extrémis par deux policiers, avaient besoin d’être exposés à nouveau ? Non.

Mme Lafrance est une survivante. Elle est aussi une femme exceptionnelle, et quelqu’un qui m’est cher. J’ai passé près de deux heures avec elle l’an dernier, le 23 janvier. Deux heures durant lesquelles elle m’a parlé de ce que ces dix ans lui ont apporté.

Elle m’a aussi parlé des journalistes qu’elle apprécie peu, évoquant une consoeur qui, quelques jours plus tôt, avait insisté pour obtenir un témoignage en lui promettant de ne pas l’exposer à la télévision, une promesse qu’elle n’a pas tenue. Elle m’a parlé de ces images diffusées à la télé qui lui faisaient mal, de ces sons terribles qui revenaient la hanter de nouveau.

Elle s’est sentie humiliée.

Malgré tout, Mme Lafrance m’a demandé de lui parler de Simon Dufour et de Pascal-Éric D’Amours, ses deux héros, ses deux anges, qui lui ont sauvé la vie la nuit de l’incendie. Elle m’a aussi montré un reportage d’Info Dimanche de 2019, encadré dans le couloir de son appartement, où elle est photographiée avec les deux policiers en civil. Elle m’a souligné, encore, le courage extraordinaire de Simon et de Pascal-Éric, mais ce qu’elle désirait avant tout, c’était avoir de leurs nouvelles.

-    Est-ce qu’ils vont bien, ils sont heureux ? Il le faut, ce sont des personnes extraordinaires. Mais des fois, tu sais, je m’inquiète un peu.
 
Elle s’inquiète pour ses héros, ses deux garçons comme elle les appelle.

Une femme exceptionnelle. Et pourtant… elle a été traitée comme un simple morceau de viande, un ingrédient de plus pour nourrir la machine à saucisses, pour flatter un égo.

Le 23 janvier 2024, j’ai regardé le «show médiatique», le rouge au front. Des dizaines de policiers et pompiers m'ont écrit pour partager leur désarroi.

Une déclaration d’Ursule Thériault, mairesse de L’Isle-Verte en 2014, m’est revenue en tête. Un journaliste de Radio-Canada infiltré dans un point de presse réservé aux médias locaux, lui avait demandé si «L’Isle-Verte se porte mieux avec la forte présence journalistique ?». Une question piège, à laquelle elle ne pouvait que répondre dans la négative.

«L’Isle-Verte se porterait mieux sans les journalistes», sans cette meute, a-t-elle répondu. Quoi qu’en pense Patrick Lagacé, elle avait raison. Elle ne visait pas les journalistes locaux qui ont su faire preuve de respect, c’est les «autres» qu’elle ciblait. Ceux qui ont mis un pied dans la porte, qui se sont imposés aux témoins, aux familles des victimes, qui ont poussé l'audace jusqu'à se faire passer pour des enquêteurs.

Sa réponse avait choqué, mais pas à L’Isle-Verte. Le ras-le-bol était palpable.

Je l’ai senti aussi en janvier 2024, ce ras-le-bol.

En 2024, on a rallumé les feux, rouvert les plaies. Pour ces 10 nouvelles années de vie, on a fait revivre à cette nonagénaire, comme à bien d'autres, cette nuit d’enfer. Cette fois, des locaux étaient de la partie. J’étais en colère.

-    Et on fait quoi, Mme Lafrance, contre la colère ?

Elle m’a tendu un bol de sucre à la crème. Était-ce la douceur sucrée ou son regard bienveillant, mais ma colère s’est dissipée.

Colette Lafrance m’a serré dans ses bras, la sérénité est revenue. J’ai fermé l’enregistrement que je conserve précieusement, et qui, à sa demande, restera privé encore quelque temps. Parce que c’est son histoire, et surtout, parce qu’elle me l’a demandé.

Mon souvenir de L’Isle-Verte en ce 23 janvier 2025, c’est elle, Colette Lafrance. Ce petit brin de femme au courage immense, et surtout au cœur d’or.

Nous sommes le 23 janvier 2025. Je vais aller me faire du sucre à la crème, quelqu’un en veut ?

  >> AUSSI À LIRE : Deux héros dans la nuit: Colette Lafrance et ses sauveteurs

 

commentairesCommentaires

0

Pour partager votre opinion vous devez être connecté.