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Il s'appelait Érik

durée 30 novembre 2011 | 11h42
François Drouin
duréeTemps de lecture 4 minutes
Par
François Drouin

Lundi, une adolescente prénommée Marjorie s'est enlevée la vie à Sainte-Anne-des-Monts. Une jeune fille de 15 ans s'est suicidée.  Depuis trois ans, elle se disait victime d'intimidation physique et verbale. Cette histoire, je la connais par coeur. Je l'ai vécue il y a 22 ans. Il s'appelait Érik, il était plus qu'un ami. C'était un complice, un frère. Il avait 16 ans.

Érik était un adolescent qui sans être taciturne, ne se mêlait pas beaucoup aux autres. Malgré un talent certain pour la mécanique, il était d'une créativité inouïe dans les arts, que ce soit en dessin, en photographie ou en musique. Il était athlétique. Le bandeau en cuir qu'il portait autour de la tête lui avait valu le surnom de « Rambo », ironique pour un gars qui n'avait jamais fait de mal à une mouche.

Dans une polyvalente où il n'y en avait que pour les chemises Polo aux coloris pastel et les souliers Stan Smith, Érik était différent. Lui, il arborait des t-shirts moulants noirs ou rouges, des jeans trop courts et des souliers bruns. Il est devenu une cible facile.

Entre les cours, certains élèves s'en prenaient à lui. Pour son look, le style de vie plus modeste de sa famille… mais surtout, parce qu'il était différent. C'était un étranger  dans la ville. Il a résisté jusqu'en secondaire 5. Nous étions une petite clique d'exclus, une bande de chums, de résistants, plus par défi que par réel désir de vivre.

Puis un jour, un étudiant populaire de l'école s'est tué. Un autre gars brillant et sensible. C'est à ce moment qu'Érik a compris qu'il existait une parade à son mal de vivre, à sa détresse affective. Enfin, il pouvait y mettre un terme. Il allait mettre fin à l'intimidation. Il allait finalement se soustraire à l'oeil pervers et vicieux de la société. Une société incarnée par la polyvalente de Thetford Mines, un beau bordel de mauvaise gestion, d'immobilisme et de surpopulation étudiante.

Fin mars 1989, il s'est enlevé la vie. Érik s'est pendu. Ce soir-là, j'étais au téléphone avec ma petite amie. Je me doutais que mon chum vivait des moments difficiles. Deux semaines auparavant, j'avais réussi à le dissuader de mettre son funeste dessein à exécution. Je croyais, à tort, l'affaire réglée. Moi, je vivais sur le nuage de ma petite histoire d'amour, avec mes lunettes roses bien calées sur le nez.

Ce soir là, quand il a tendu sa dernière perche, son dernier cri à l'humanité pour être sauvé, c'est moi qu'il a appelé. Son appel s'est fracassé sur le signal d'une ligne téléphonique occupée. Deux heures plus tard, il était retrouvé sans vie dans une grange.

Une pulsion de mort que j'ai mis 15 ans à me sortir de la tête. Je l'ai trainée comme un fardeau. Pourquoi n'avais-je pas été là, pourquoi n'avais-je pas démoli le portrait de ses dénigreurs plus tôt… pourquoi? Érik est passé, à ce moment, de mon meilleur ami, à ma part des ténèbres. Des ténèbres exacerbées par la honte, la douleur et la colère.

Dans sa lettre d'adieu, il a demandé à être incinéré dans une poubelle. Érik était l'une des personnes les plus intelligentes, ouvertes et attentives que j'ai rencontrées. Un être riche. Mais à la fin, les pourris l'avaient convaincu. Rambo était un déchet qu'il fallait mettre aux ordures.

Il n'en pouvait plus. L'intimidation et le dénigrement sont violence, plus encore quand ils sont répétés quotidiennement. Une souffrance qui devient l'absolue.

Vingt-deux ans plus tard, j'écris ces lignes en toute vitesse. De peur de ne pas être capable de terminer. J'ai les yeux noyés dans l'émotion. Je me suis égaré un peu dans ce billet, j'en suis conscient. Il est sans doute trop personnel. Mais de voir une histoire aussi triste se répéter, avec comme trame de fond l'intimidation et le dénigrement, ça me chavire le coeur.

Je n'ai pas de conseil à donner aux Érik et Marjorie  de ce monde. Je tiens seulement à leur dire que je les aime, et surtout, surtout, que je ne suis pas et ne serai pas le seul.

Mais j'ai un conseil pour les parents qui observeront un reflet de cette histoire dans les yeux de leurs enfants : impliquez-vous, réagissez et dénoncez. CRIEZ ! Faites-le avec force. N'attendez pas qu'il soit trop tard. N'acceptez jamais la bullshit bureaucratique et les demi-mesures que l'on vous servira dans les écoles parce que c'est plus simple. Mettez le poing sur la table. Après, il sera trop tard. Fatalement trop tard.

En terminant, je vous laisse les coordonnées du Centre de prévention suicide du KRTB.

Heures d’ouverture du CPS du KRTB

Du lundi au vendredi de 09h00 à 12h00 et 13h00 à 17h00

Centre prévention suicide du KRTB

35-D rue St-Louis, Casier postale 353,

Rivière-du-Loup, Québec, G5R 3Y9

Canada

Téléphone : 418 862-9658

 

commentairesCommentaires

11

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  • G
    Guillaume
    temps Il y a 13 ans
    On est tellement inconscient quand on est jeune! C'en est désolant! Je suis sans mot. La gentillesse est-ce que ça s'enseigne? Je ne crois pas. Le bon sens non plus, pas plus que l'ampathie et l'innocence. J'ai compris avec le temps, que moi aussi, à mes heures, j'ai été l'un de ceux qui écoeuraient...à petite échelle, mais n'en demeure pas moins que la plus petite des échelles reste une échelle quand-même.

    J'ai été visonner un vidéo sur youtube, c'est un numéro de J-F Mercier ..."Jean-François Mercier ne veut pas d'enfant" Ça m'a beaucoup fait réfléchir; sur l'éducation que j'allais donner à mes enfants en bas âge, sur le fait que les gens peuvent être désabusés au point tel de ne pas vouloir donner la vie, ce qui m'a apporté et m'apporte le plus grand des bonheurs... ce qui m'a donner une raison de vivre en fait! C'est grave, mais je comprends facilement que dans un société comme la nôtre, c'est difficile, très souvent difficile, de passer au travers sans béquille, que l'on ne veut pas imposer cette merde à nos enfants, mais on doit garder espoir et comprendre que c'est pire ailleurs, que l'on est gâté par la vie, que le bonheur se trouve dans les petites choses... c'est facile à dire qu'ils diront, je l'avoue mais y crois maintenant.

    Pardon, pardon si j'ai fait du mal, on ne peut revenir en arrière, tout le monde aimerait corriger des erreurs du passé, je ne peux pas et c'est désolant, le plus que je puisse faire, à mon avis, c'est d'enseigner à mes descendants l'impact et les concéquences que des erreurs de jeunesse peut avoir...

    Je ne me rapelle plus qui avait dit: "Un grand homme montre sa grande valeur dans la manière dont il traite les petites gens" Est-ce que le fait d'être jeune, con et innocent excuse les gestes commis sans être réellement conscient de leurs portées? Je vous laisse me répondre.
  • C
    Caroline
    temps Il y a 13 ans
    Pour faire une histoire courte, après avoir vécu cette situation aujourd'hui, je les haït, je ne leur ai pas pardonné même rendu à 39 ans, Je me souviens de leurs noms, aujourd'hui encore je me sens dégueulace, sale, une moins que rien, Je combats tous les jours pour essayer d'avancé dans la vie. A 15 ans j'ai fait profité et abusé de moi par un homme de 31 ans et j'ai tombé dans le piège de l'ados qui cherche à être aimé....

    J'arrête la gorge me fait mal,

    Je comprends cette jeune fille

    Colibri
  • P
    Pascale
    temps Il y a 13 ans
    J'ai les yeux pleins d'eau à te lire François, probablement parce que moi aussi j'y ai déjà pensé, parce que moi aussi j'ai été victime d'intimidation par des Gars trop cons pour simplement ignorer la différence des gens et par des personnes trop centrées sur leur petit être pour se rendre compte du mal qu'ils pouvaient causer dans une seule journée!! Pendant tout ce temps de lutte pour ma survie, je ne l'ai jamais dis à ma mère et lorsque je lui ai dit, des années plus tard, elle n'en revenait simplement pas...

    Le seul conseil que je peux donner aux Érick et aux Marjorie de ce monde, c'est d'aller chercher de l'aide car il en existe à même les murs de l'école... de mon coté je ne remercierai jamais assez Raymond Charest, le psy de l'école, sans qui... je ne taperai pas ces lignes à cet instant!

    Et laissez moi vous dire une chose, qu'un seul de vous, touche ou intimide mon enfant... et ce sera les accusations aux criminels sans même l'ombre d'une hésitation!!!
  • RR
    Robert R.
    temps Il y a 13 ans
    Tu m'as bouleversé. J'ai fondu en larmes quand tu leur dis que tu les aimes. J'en ai perdu un chum. Un maudit bon chum. Je lui en ai voulu sur le coup. En te lisant, j'ai réalisé tout ce qu'il a manqué... Et surtout qu'il me manquait.

    Merci.
  • N
    Nadine
    temps Il y a 13 ans
    Je suis sans mot. Texte très, très, très touchant.

    Merci d'avoir eu le courage de partager cette "histoire" avec nous.

    J'apprécie beaucoup ta plume dans Blog à Part, on t'y sent libre et tu le rends bien.

    Ouf.
  • M
    Murielle
    temps Il y a 13 ans
    Ton billet m'a touché en plein coeur. Merci François de nous avoir partagé cette tranche de vie et de faire entendre la voix des enfants "souffre-douleur". Dans de telles situations, toute la famille est en souffrance et il est parfois difficile de trouver la solution pour mettre un terme à cette spirale infernale. Mon plus grand souhait: arrêter de banaliser la violence et les humiliations. Aux yeux des adultes certains gestes ou phrases ont l'air anodines, mais les enfants reçoivent ces choses-là différemment.
  • I
    Incompréhension
    temps Il y a 13 ans
    Cette histoire rappelle de durs moments à mon coeur de mère. Ma fille ayant vécu de l'intimidation et moi qui ai fait des pieds et des mains pour que cela cesse. Eh oui, c'est ici à Rivière-du-Loup que ça s'est passé. Ça arrive partout. Ma fille, timide et introvertie, se faisait traiter de tous les noms par 3 gars de sa classe. De la 3ème à la 6ème année. J'en ai discuté avec la direction rien n'a changé c'était pire. J'ai donc tenté de discuter avec les parents de l'un de ces intimidateurs, encore peine perdue, la mère de ce garçon m'a seulement répondu 'essaie donc de faire avec lui ce que je ne peux pas faire moi-même'. Ma fille m'en a voulu car elle disait que parce que j'avais tenté de faire quelque chose pour que ça cesse, j'avais empiré la situation. On se sent vraiment au dépourvu dans ces moments là. La 6ème année terminée, heureusement pour elle, le secondaire à joué en sa faveur, le pire des 3 gars n'allait pas à la même école. Par contre, aujourd'hui ma fille est rendue à 22 ans et a encore du mal à prendre sa place, elle se sent moins que rien, elle a toujours peur de déranger les autres et peur de se faire intimider encore. J'essaie du mieux que je peux pour déprogrammer ce qui a été programmé dans sa tête durant ces années mais je n'y arrive pas encore. J'espère seulement garder une bonne relation avec elle pour qu'elle sache qu'elle n'est pas seule et que je serai toujours là pour elle.
  • LSP
    Lina St-Pierre
    temps Il y a 13 ans
    Merci pour cet article clair et profond. Il apporte de lumières et une entre autre qui dit que nous somme plusieurs à avoir qq`un près de soi qui a mis fin à ses jours. J`ai 2 amis entre autre qui se sont pas manqués après chacun sa 3 ième tentative. Les souffrances psychologiques étaient trop incrustées. Même aidés par des équipes de professionnels, on aurait dit que le souffle de vie ne se réinstallait pas. Un hasard peut -être, je remarque qu`une grande sensibilité aux regards des autres était un point commun.Ils avaient de la difficulté à s`appartenir et se dire que leur vision personnelle , pour eux même est la plus importante.Il est impressionnant de constater combien un complexe peut prendre une grande place. Un jour une de mes consoeur de travail complexée par sa grosseur se vidait le coeur en disant à quel point elle ne s`aimait pas et se trouvait trop grosse. Moi je la voyais juste bien comme elle était. En riant je lui ai dit '' Tasse tes grosses fesses que j`ouvre la '' tite '' porte .Elle m`a regardée avec les yeux du désespoir. Je suis restée tellement surprise par l`ampleur que prenait la situation. Je lui ai répété qu`elle était très belle comme telle qu`elle se présentait et je lui ai fait remarqué qu`elle ne pourrait jamais être large plus que la porte. Après avoir accepté de raisonner, elle a cessé de tout prendre au pied de la lettre et de mettre de l`huile dans ses plumes de canard. Il y aura toujours des visions différentes, et apprendre à s`appartenir est un travail de plus longue haleine pour certains que pour d`autres. On peut pas toujours savoir quand on dérange et à quel degré pcq on connaît pas toujours la profondeur des failles de chacun. Je sympathise profondément et sincèrement avec chaque personne qui se sent interpelée.Mais de grâce, que la culpabilité ne prenne pas toute la place .
  • N
    Nadine
    temps Il y a 13 ans
    Polyvalente de Thetford Mines, je savais que j'avais déjà lu ça.

    C'est à cette poly? http://www.cyberpresse.ca/le-nouvelliste/justice-et-faits-divers/201112/05/01-4474606-un-etudiant-poignarde-a-thetford-mines.php
  • FD
    François Drouin
    temps Il y a 13 ans
    Cette même polyvalente.
  • RD
    Richard Dumont
    temps Il y a 13 ans
    Malheureusement, ces attitudes se poursuivent très souvent au-delà de la formation
    scolaire et se reproduire dans le milieu du travail.

    J'ai personnelement du laisser un emploi, que j'aimais malgré tout, en raison du trop plein a supporter de la part de collègues de travail aux comportements dénigreur et harceleur envers moi.

    J'en était même rendu au point de craindre pour ma sécurité physique...

    Avec l'âge et l'expérience, il est plus facile de supporter ce genre "d'attaques" en
    développant une forme de résilliance et des mécanismes de défence (ex: répliques ironiques, ou l'effet mirroir.).

    J'occupe un nouvel emploi depuis plus de 6 mois dernièrement et c'est souvent partout
    pareil, surtout pour "le nouveau"...

    Je ne répèterai pas ici toutes les conneries et les méchancetés que l'on peut vous
    garocher gratuitement à la figure à tous les jours, mais il faut être fait fort ou ne pas être trop sensible pour pouvoir les supporter !

    Si j'avais une prime pour cela, je serai déjà très riche !!

    Il est pénible, par exemple, pour quelqu'un d'orientation homosexuelle de "dealer" avec
    son entourage, même en 2011... Imaginez comment on peut se sentir quand ont
    fait courrir la rumeur que vous êtes gai seulement parce-que vous êtes célibataire...

    2012 est bientôt dans quelques jours pourtant !!

    Et cette bande de caves se demande pourquoi je ne vais pas au party de Noël ?!

    Un souper de cons ? Non merci !

    J'y ai déjà assez goûté...
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