Sociétal
Pierre Sénéchal
Je déteste les jeux de société. D’aussi loin que ma mémoire défectueuse peut me ramener, je n’ai jamais éprouvé le moindre plaisir à me soumettre, au gré du hasard ou de la stratégie, aux règles implicites de ces jeux de table qui animent les rencontres familiales et qui surtout, couronnent dans l’apothéose un grand champion à la fin. Bon, j’exagère peut-être un peu mais le Monopoly, Clue, les Aventuriers du train, Risk … nah, ça ne vibre véritablement pas en moi.
J’ai longuement cogité sur cette incapacité que j’ai d’adhérer à tout type de jeux de société (incluant le large éventail des jeux de cartes) et je comprends bien tous les avantages, bienfaits et autres aspects métaphoriques grisants suscitant le ravissement des adeptes, mais mystérieusement, cette magie n’opère pas chez moi. Je déteste les jeux de société.
Bien sûr, créature sociale normalisée en recherche d’attention et d’interactions positives, j’ai prêté flan, sous pression, à quelques invitations initiatiques. Il faut parfois oser les choses inutiles.
Monopoly
Enfant j’ai joué au Monopoly, n’importe comment pour le plaisir de manipuler «de la vraie fausse argent», des petites maisons vertes et des hôtels Overlook rouge Kubrick. Mais jeune adulte, par curiosité, naïveté ou je ne sais trop quoi, j’ai intégré un groupe de Monopoly, des experts du «passez go réclamez 200», des kings de la vente immobilière par procuration, des démons capitalistes sans âme qui nous sortaient de table en moins de 15 minutes, ruinés, humiliés et en beau tabarnak. Je déteste ce type de joueur et je déteste les jeux de société.
Clue
Oh, atmosphère britannique à la The Crown, un assassin dans la pièce, six joueurs à l’affût, les sens en éveil, une intrigue, des cartes de déduction, des personnages ennuyants et stéréotypés as fuck, des objets d’une banalité sans nom et … moi qui fait vraiment semblant d’avoir du fun. On est parti pour une grosse heure minimum mais, au début du deuxième tour, inquiet de voir courir un meurtrier à l’air libre, j’accuse le Colonel Moutarde dans la cuisine avec le chandelier. «Ben naaaooon Pierre, tu peux pas faire ça» …euh, ben oui je peux et je vais le faire. Mauvaise réponse, je quitte la table laissant les cinq autres joueurs furieux et stupéfaits. Dans ma tête, j’ai gagné la partie… et je déteste les jeux de société.
Risk
Ok, là on jase, Risk ! Joute de guerre, de conquérants qui, au gré des caprices aléatoires des dés, de la chance et de la stratégie (?!) peuvent devenirs maitres du monde. Il y a même une version festive et hautement délirante; le Rhum and Risk. Mais bon, sérieusement, conquérir le monde et le mettre à sa botte tel un divin empereur, à coup de dés et de bouteille de rhum ? C’est interminable, ennuyant et je suis tellement mauvais avec des maudits dés à marde, ç’a pas de bon sens. Je déteste la guerre et les jeux de société.
Allégories
Au fond, le Monopoly, Clue, Risk … ce ne sont que des allégories de la société telle qu’elle est devant nos yeux, dans le réel, cruelle et sans pitié. Les jeux de société ont par contre le pouvoir (ou le rôle, c’est selon) de concrétiser et de rendre accessibles des concepts abstraits ou des réalités complexes d’une manière ludique et facilement compréhensible. Et c’est très bien.
C’est peut-être juste que moi, je vis dans l’amertume réelle d’avoir payé ma maison Monopoly 5 fois plus cher que la génération précédente. Probablement aussi parce que je me liquéfie de désespoir à chaque semaine de voir en direct à la télé une tuerie dans une école primaire ou l’on accuse Kevin, dans le local 204, avec une arme semi-automatique acheté chez Walmart. Ou encore de voir Vladimir Poutine dans toute sa folie fratricide et meurtrière jouer au Risk dans la réalité, jeter les dés, les pauvres soldats Russes et les obus sur la tête du peuple ukrainien, n’épargnant ni femmes ni enfants.
Pour ma part, l’enfant en moi ne cesse de s’émerveiller du beau et du magnifique au quotidien. Je dessine, je travaille avec la plus magnifique clientèle qui existe en ce bas monde et je joue encore au ballon. Au moins en jouant au soccer, le Risk d’avoir le genre de flashback qui m’expose à la cruelle réalité est nettement moins élevé. Et à la conclusion de chaque partie nous sommes tous gagnants.
Je vous laisse sur cette citation de Nathalie Platt, magnifique chroniqueuse au Devoir que je vous invite à lire avec enthousiasme.
«J’ai encore beaucoup trop d’affection pour l’humanité faillible, celle qui s’échoue quelque part entre les hauteurs de ses idéaux et les berges de ses échecs.»
2 commentaires
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Effectivement, Nathalie Platt par son propos et ses réflexions est pour moi un
véritable trésor national.