Tunnel
Pierre Sénéchal
Lorsque le malheur se pointe à l’improviste, silencieux, méthodique, il frappe de plein fouet à répétition une infortunée victime. Dès lors, celle-ci est aspirée dans l’abime d’un tunnel dont l’issue est plus qu’incertaine. Cet état psychologique qui donne l’impression d’être coincé dans un continuum obscur, sans issue, engendre énormément de détresse et de souffrance. Avançant à l’aveugle, rompu et hésitant, c’est à ce moment que l’on se surprend à penser qu’en des moments aussi pénibles, une flashlight serait plus que bienvenue. À l’évidence, elle ne serait d’aucun secours, mais au moins elle mettrait en lumière le malheur qui nous afflige et la route interminable de ce tunnel sombre où l’on cherche en vain l’horizon.
Aide
Affligé par le malheur et l’obscurité, nous devenons une proie facile pour l’anxiété, le stress et la peur. Ce sont là des réactions psychologiques normales en situation de danger, des moyens de défense qui nous poussent instinctivement au repli, mammifères que nous sommes, comme pour se recroqueviller vers l’intérieur, au fond de nous-mêmes jusqu’à l’implosion.
L’égo, je parle du bon égo, le fier de soi à bonne dose, incite l’individu à s’exposer lorsqu’il est à son meilleur, au sommet de sa forme, en parfait équilibre. À l’inverse, lorsque blessé, amoindri et en mauvaise posture, il fuit la lumière et s’enferme seul, loin des regards inquisiteurs et cruels. Loin également de ce qui pourrait le nourrir, l’aider et l’extirper du tunnel qui l’aspire littéralement vers les ténèbres, les pires qui soient, celles de l’intérieur.
Souvent, il nous arrive de croiser des gens souffrants, en détresse, mais au hasard des blessures et des déceptions, ils se sont tellement enfoncés dans ce tunnel obscur qu’ils leur est impossible d’envisager une seule seconde demander de l’aide… parce qu’ils en sont venus à penser qu’aucune aide ne saura leur apporter le réconfort nécessaire pour les extirper de l’obscurité perpétuelle dans laquelle ils s’enfoncent.
Note à tout le monde : qu’on se le dise, les gens qui ont généralement besoin d’aide sont, pour la plupart, incapable d’en faire la demande directement, c’est triste mais c’est comme ça. En fait, c’est le processus inverse qui semble le mieux fonctionner. Aider c’est offrir, solliciter, écouter, se rendre disponible et généreux, empathique et sincère. N’attendez pas qu’on demande de l’aide, ça n’arrive que trop rarement. L’aide qui fonctionne vraiment, c’est celle que l’on offre, que l’on rend disponible et accessible. Ne jamais laisser passer une opportunité d’apporter de l’aide à quelqu’un qui en a réellement besoin. Aux ténèbres opaques, offrez donc de la lumière, soyez des réverbères droits et fiers. Éclairez moi ce sacrement de tunnel pour que ceux qui s’y engouffrent puissent enfin en trouver la sortie.
Lampes
Ne soyons pas aveugles. La souffrance et la vulnérabilité, nous la côtoyons tous les jours. Ça s’invite malicieusement dans nos vies, au travail, au parc, partout. Tiens donc, je les ai justement croisées au dépanneur hier soir, s’achetant un paquet de smokes et une canne de bière cheap dument payés en monnaie et en retour de canettes vides. J’ai croisé leurs yeux d’une tristesse abyssale. Je les ai suivies longuement du regard à leur sortie du dépanneur, le pas lourd, s’enfoncer dans l’obscurité d’un tunnel sans fin. En payant mon essence, je remarquais, à côté des cartes prépayées et des pepperettes, un rack remplis de petites flashlights à 2,99$ l’unité… trop petites et vacillantes pour l’immensité de la nuit et la profondeur des ténèbres. Mais bon, c’est peut-être le semblant du début de quelque chose… ou pas, qu’est-ce que j’en sais ?
«Le malheur n’est jamais merveilleux. C’est une fange glacée, une boue noire, une escarre de douleur qui nous oblige à faire un choix : nous y soumettre ou le surmonter.»
- Boris Cyrulnik.
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