Démystification
Pierre Sénéchal
Je suis né en un lieu mythique, au pied du lac Pohénégamook où j’y ai passé l’essentiel de mes 17 premières années de vie. Des temps heureux empreints d’effluves lacustres qui côtoyaient les bruines forestières faisant de nous des enfants du plein air, sensibles à la nature et l’environnement. Nos journées trop courtes étaient farcies d’aventures où notre imaginaire vagabondait entre les berges du lac et la cime des arbres, attentifs à tous les raconteurs, péteux de broue et fabulateurs du village dont chacun avait en mémoire une petite histoire mettant en scène la bête du lac. Mais pas un seul n’aura mieux entretenu l’attention des villageois et le mythe de cette créature qu’Elzéar Sirois, autant par ses mots que ses actions.
Mythes
Raconteur exceptionnel et surtout persuasif, Elzéar Sirois aura contribué à ancrer dans l’imaginaire collectif le mythe de la bête du lac comme pas un et cela pour une raison bien simple, il avait fini par se convaincre lui-même que la bête existait vraiment. De par les témoignages qu’il recueillait comme on ramasse les noisettes ou les petits fruits, Monsieur Sirois relatait les récits du Curé Plante et les nombreux témoignages des villageois qui avaient vu, de leurs yeux vu la créature. Il nourrissait ainsi la légende au gré des informations non vérifiables, mais aussi de nombreux sophismes qu’il nous servait en guise d’argumentaire pour justifier l’existence de ce monstre marin dans les profondeurs du lac Pohénégamook. Le bougre d’homme avait même conçu et assemblé un piège pour attraper la bête, sans succès vous vous en doutez bien. Pour tout dire, Elzéar Sirois était un sapré personnage, fascinant, sans malice, un grand mystificateur… mais surtout un homme qui avait fait d’une chimère sa passion, son obsession.
Légende
Depuis toujours, on retrouve un peu partout dans le monde ce type de récit partagé par la tradition orale au grès des raconteurs qui tiennent tantôt compte des faits, de l’histoire, mais parfois aussi des légendes et des mythes. La nuance est importante, car il est ici question de transmission du savoir, des faits historiques et de l’information d’une part et de l’autre coté du partage des récits issus de l’imaginaire, un peu plus métaphoriques, qui ne sont pas inutiles certes, mais qui ne reposent pas sur des faits vérifiables. En fait, bien au-delà de divertir et de nourrir l’imaginaire collectif, ces récits ont, de tout temps, permis d’ouvrir la réflexion sur divers sujets, mais aussi offert une certaine compréhension du monde réel.
Elzéar Sirois n’était très certainement pas le premier homme à se servir du vraisemblable pour nourrir le fantastique au service d’une bête. Pas le dernier non plus. Par contre il le faisait sans malice, à même son imaginaire, pour faire de son coin de pays un endroit exceptionnel, pour faire se son lac le refuge d’une créature légendaire et peut être aussi de faire de l’enfant que j’étais un adulte qui n’a jamais cessé de s’émerveiller.
META-Stase
Vous parler d’Elzéar Sirois est pour moi un devoir de mémoire que je repousse depuis beaucoup trop longtemps. J’ai écouté ses récits avec autant d’enthousiasme que j’ai lu le Moby-Dick de Melville quelques années plus tard. Et toujours au cœur de ces fables, l’humanité face au monstre, une analogie aux ténèbres intérieures qui nous habitent tout un chacun, un thème inépuisable.
Actuellement, il y a un monstre gigantesque qui grouille dans le fond du lac WEB. Et les nouveaux monstres Zuckerberg - Musk- Bezos et compagnie n’ont pas le désir de nourrir notre imaginaire et encore bien moins rendre le monde meilleur. Ce sont des gens bien réels qui vampirisent les médias d’information depuis trop longtemps et qui prennent plaisir à déformer la réalité au gré de leur fantaisie (et surtout de leurs profits) pour nourrir la bête. À l’inverse du bon vieux Elzéar, ils ont choisi de nier la réalité, de censurer les médias et de bafouer les démocraties.
Rappelez-vous, je vous disais plus haut que j’ai vu le jour dans un lieu mythique à une époque ou le web n’avait aucune emprise sur nous. Bien sûr il y avait d’autres soucis, genre de tracas qui nous pourrissaient la vie … je suis un enfant de la guerre froide, de l’anxiété nucléaire, des pesticides antitordeuses d’épinette qu’on nous dropait sur la tête et pire encore, de la rivalité Canadiens - Nordiques. Mais je répondais toujours à l’appel du dehors, à passer mes journées en vélo, de sentier en sentier pour finir par être comme aspiré par le chemin Guérette en passant devant chez Grand Maman Florence pour aboutir devant la maison d’Elzéar Sirois. Quand la chance était de mon bord, il était là sur son terrain, à jardiner, à rêver, à bagosser sur un truc étrange sur le long de la maison…
«C’est quoi ça Monsieur Sirois ?»
«Ca les ti-gars, c’est un piège pour pogner la bête du lac, j’va vous montrer comment ça marche»
Un piège pour attraper les montres …… Imaginez !
Pour partager votre opinion vous devez être connecté.