Écumes
Pierre Sénéchal
Qu’est-ce que l’écume sinon les vestiges d’une catastrophe qui s’est déjà produite ? À la bouche d’un homme, elle est annonciatrice de colère, de convulsion et de mort. À la surface de l’eau, sur ses rivages, elle témoigne de l’asphyxie et de l’anéantissement d’un monde entier. Mais surtout, l’écume est le sceau qui marque telle la cire sur l’enveloppe le lieu d’une tragédie. Cependant l’humain affiche trop souvent cette incapacité chronique à retenir des leçons du passé et se condamne lui-même à répéter sans cesse les mêmes erreurs.
Voilà le sentiment qui m’habite chaque fois qu’un débat de société part en vrille, se gonfle et finit par s’étioler dans les médias sociaux en proie à la démagogie, au populisme, à l’ignorance et surtout à l’opinion de ceux qui s’octroient une importance et une pertinence qu’ils n’auront jamais.
Toilettes
Le faux débat des espaces sanitaires dans les écoles est pour moi un exemple particulièrement triste de la superficialité et de l’inefficacité chronique d’une société complètement détraquée à gérer ne serait-ce que sa propre merde. Cette planète se suicide sous nos yeux à coup d’incendies gigantesques, de tremblements de terre dévastateurs et d’une multiplication d’ouragans et ici dans le confort relatif d’occidentaux ultraprivilégiés, on part une guerre civile à propos de l’accès genré ou non des salles d’aisance dans les écoles ? Sérieusement ?
Bon ! Revenons à la base. Premièrement, j’invite ici tout le monde à prendre un moment de silence pour passer à la salle de bain, se laver le visage à l’eau très froide et, au passage, se regarder dans le miroir. La plupart des gens y reconnaitront leur visage un peu humide, les traits tirés. Certains y verront là une bonne partie du problème.
Aimer, se sustenter, dormir, vivre à l’abri et gérer les fonctions physiques et psychologiques du corps humain sont considérées comme des besoins de base, essentiels à la vie ou à la survie, le cas échéant. De même, quand le corps humain est soumis, de façon plus ou moins régulière, à la pulsion d’évacuer l’écume et les vestiges d’aliments et breuvages qui auront transfiguré et illuminé ses repas, il convient d’affirmer qu’il répond sans équivoque à un besoin de base, qu’il soit homme, ou femme, ou non genré, non binaire. Est-ce si difficile d’adapter les lieux pour qu’ils conviennent à tous ?
Merde
Je me plais à dire des gens qui ne saisissent pas bien les grands enjeux qu’il sont excellents pour complexifier les choses simples, mais, à l’inverse, incapables de s’intéresser aux choses complexes. Dans cette saga des salles de bain dans les écoles, ces gens-là ont réellement pris toute la place, ils ont réussi à faire déraper le débat, faire taire les gens de bonne volonté, compétents, qui pouvaient nous instruire sur le sujet et apporter un éclairage nouveau. Ils ont bourré les chiottes de papier et, comme des cons, ils ont tiré la chasse regardant avec satisfaction le gâchis qu’ils avaient engendré.
Alors qu’au fond, le problème n’en était pas un. Les salles d’aisance et les blocs sanitaires sont des espaces intimes qui permettent aux individus de se retrouver seuls avec eux-mêmes, qu’ils soient genrés ou non, enfants ou adultes, pauvres ou riches, idiots ou brillants. Le reste importe peu. Aménageons des espaces sécuritaires, respectueux et ouverts à la différence.
Ah oui, lors de votre prochaine visite à la salle de bain, avant de quitter, n’oubliez pas de flusher, de vous laver les mains et surtout de vous regarder dans le miroir juste pour vérifier si c’est bien votre visage que vous apercevez ou si, à l’inverse, vous y voyez une partie du problème.
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