Usagé
Pierre Sénéchal
L’usure est un phénomène fascinant, qui permet de dire de quelque chose (ou quelqu’un ?) qui a perdu l’aspect rutilant du neuf qu’il peut être encore fonctionnel, en très bon état, l’usage et le temps n’ayant pas d’emprise sur son efficacité, mais seulement sur son apparence. Par contre l’usure exprime tout de même une certaine fatigue, une lassitude dans la répétition du doux confort de l’habitude qui glisse tranquillement, mais surement vers l’inefficacité et inévitablement la rupture. L’œuvre du temps c’est aussi l’insouciance et le refus de questionner l’ordre établi, les façons de faire qui s’impose à nous. Les habitudes et les choses que l’on possède finissent parfois par nous posséder… à l’usure.
CONSCIENCE
Il est donc important de se questionner sans répit à propos de l’usage que l’on fait des choses, également des postures que l’on adopte face à tout ce qui s’impose à nous. Tout est question d’usage et d’usure, de faire les mêmes choses toujours de la même manière, ce qui est bien certes, mais nous engage sur la voie de l’obsolescence, de la désuétude et de l’égarement. Me reviennent en mémoire les sages paroles du philosophe grec Héraclite qui disait «La seule constance c’est le changement». Sa pensée résolument actuelle se définissant comme ‘’mobiliste’’ positionne l’humanité en êtres éternellement en devenir. Vision d’un enthousiasme débordant qui met en lumière la saisissante capacitée de l’humanité à s’adapter, se ressaisir … même lorsqu’elle gambade à clochepied aux limites d’un ravin, un pied dans le vide.
USÉ
Personnellement j’en suis à un moment de mon existence ou les traces d’usure commencent à se faire sentir. On dit d’un truc usagé qu’il peut fonctionner aussi bien que du neuf. Par contre l’usure est un phénomène qui altère le fonctionnement et réduit l’efficacité et croyez-moi la nuance est importante. Alors je peux affirmer avec certitude je commence à afficher des traces d’usures.
Bien sûr physiquement, en termes d’énergie et de performance, le temps et l’utilisation parfois douteuse de ce corps bien imparfait se font sentir. Avouons également que l’entretien général de ma carcasse n’a pas toujours été optimal. Les analogies mécaniques conviennent tellement bien au corps humain, ce bolide de chair et de sang transportant l’âme et de la conscience humaine.
Cette époque plutôt abrasive et déprimante laisse également quelques grafignures sur mon moral qui, certains matins, tarde à se régénérer pour maintenir un semblant d’optimiste et de bonne humeur. Vous savez, ce genre de matin où l’on tente de se convaincre en vain qu’il ne suffit que d’un petit effort pour repartir la machine qui recommencera à ronronner comme une neuve.
UTILE
Malgré l’usure, impossible de se soustraire à l’obligation hautement existentielle de se rendre utile, c’est dans la nature propre de l’humain. Et ce ne sont pas les opportunités qui manquent. Combien d’organismes communautaires, culturels et sportifs sont à la recherche d’une force de manœuvre bénévole pour accomplir leurs engagements ? Cette force, ce pourrait être vous, à la mesure de votre capacité, mais surtout en résonnance avec les valeurs et les bons sentiments qui vous animent.
Je vous invite donc à vivre l’implication et l’engagement social pour tout le bonheur et la satisfaction que cela procure, mais encore mieux : parce que contribuer positivement à votre collectivité est selon moi le meilleur entretien mécanique qui peut vous préserver de l’usure prématurée du temps et de la dure réalité.
Parce que moi, l’infime parcelle de temps qui m’est attribuée, j’ai choisi de la prendre pour l’investir dans des organismes et des causes qui me tiennent à cœur, de la faire fructifier pour le bien de ma communauté, non pas de la gaspiller et de l’éparpiller à tout vent. Le temps que vous aurez la générosité de partager aux autres est porteur de sens, mais aussi d’utilité, n’en doutez pas. Et c’est un excellent moyen de se préserver de l’usure.
«Les gens oublieront ce que vous avez dit, ils oublieront ce que vous avez fait, mais ils n’oublieront jamais ce que vous leur avez fait ressentir» - Maya Angelou.
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