Naphtaline
Pierre Sénéchal
Depuis toujours l’automne est ma saison préférée. Elle fait naitre en moi une certaine sérénité, sentiment qui prend profondément racine, me nourrit et me donne confiance que les jours prochains seront heureux, confortables et paisibles. L’automne nous oblige également à ralentir le rythme pour bien se préparer à la grande dormance ou la nature se met en veille pour observer le territoire se couvrir d’une immense douillette blanche.
L’automne est aussi le moment de l’année qui permet réflexion et introspection. De ces cieux plus gris, ces jours plus courts, de l’air vif et de ces arbres-squelettes qui nous rappellent combien la vie peut être fragile, éphémère, précieuse. Il en émerge quand même l’espoir que ce passage nécessaire se veut la promesse d’un printemps radieux et lumineux.
Odeurs
L’automne engourdit la nature, mais possède cette faculté unique d’interpeler nos sens, de les aiguiser pour nous disposer aux nombreuses subtilités et dentelles de notre environnement. Oh combien j’adore cette luminosité plus nuancée, mais non moins vibrante qui exacerbe les déclinaisons chromatiques que nous offre le paysage bas-laurentien. Lieu que nous habitons et qui, avouons-le, finit par nous habiter. Et ce climat de froid feutré qui nous pique nous enveloppe tamisant les sons, le bruit ambiant. En automne tout est plus tranquille et c’est surtout l’odorat qui est sollicité par cette saison de tous les possibles. Le froid vivifiant sature l’air et fouette nos poumons, il fait œuvre utile et augmente l’afflux sanguin et par le fait même l’acuité de notre odorat nous rendant ainsi disponibles à un univers olfactif renouvelé, décuplé.
Mémoire
Le sens de l’odorat a cette faculté unique d’imprégner de façon durable notre mémoire, cristalliser nos souvenirs. De fait, les odeurs sont détectées et traitées dans une partie de notre cerveau qui est également responsable d’inventorier les souvenirs, sorte de voute expérientielle qui garde intact et durablement la vivacité d’une expérience vécue à la nuance près que les souvenirs liés aux odeurs ont la faculté unique de nous faire ressentir les mêmes émotions vécues (et senties) à ce moment précis même après plusieurs années. Certains scientifiques prétendent que la puissance de la mémoire olfactive est si vive et précise qu’elle peut véritablement être considérée comme une façon de voyager dans le temps tellement l’exactitude du moment et l’émotion ressentie sont conformes à l’expérience déjà vécue.
Souvenirs
Il est en effet troublant de constater à quel point les souvenirs liés aux odeurs sont puissants, précis et émotivement chargés. Actuellement, osez l’odeur prémonitoire des premières neiges, celui d’une bière d’automne bu en cachette au début de l’adolescence, du sang, de la chair et des carcasses d’orignaux attachés sur les tops de chars ou palantés dans les entrées de garages. L’automne est particulièrement propice aux rappels de ces odeurs significatives qui prennent écho dans notre système limbique, imposant un véritable retour dans le temps
Dans cette minuscule cuisine avec elle, Lucia, les deux mains dans les herbes salées, odorantes, que préparions avec grands soins, moments presque parfaits. Aussi paradoxalement l’odeur rassurante de la boule à mites chez mémère Lucia, sa présence bienveillante, attentive à tout ce que je lui racontais, indulgente et aimante, qui savais mettre en lumière, éloigner les ténèbres et la vermine … comme une fragrance de naphtaline.
«Notre langage ne vaut rien pour décrire le langage des odeurs» - Patrick Süskind, Le Parfum.
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