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Legs

durée 1 décembre 2023 | 10h29
Pierre Sénéchal
duréeTemps de lecture 4 minutes
Par
Pierre Sénéchal

Le legs est un concept fascinant, constitué de biens tangibles, d’argent ou encore de ce qui est animé par des valeurs et des principes forts, à l’épreuve de la mort et du temps en perpétuelle fuite, déclinaison immatérielle de ce qui nous survivra peut-être.

Ce legs, d’abord et avant tout personnel, est destiné aux gens les plus chers à nos yeux, ceux qui nous survivront, pour qui nous espérons le meilleur. Pour ma part, étrangement, la mort ne m’effraie pas, elle est là omniprésente, elle est vaporeuse et intangible, elle nous frôle et nous tape parfois sur l’épaule, rappel de l’infinie beauté de la vie, et puis elle frappe sans avertissement. Elle frappe partout, à Gaza, dans une école américaine, dans une rue du Saguenay, dans un quartier tranquille et parfois près de nous, bien plus qu’on le souhaiterait. Et quand une vie s’éteint, que reste-t-il de son passage éphémère? Je parle de ce legs immatériel qui survivra dans le cœur et la mémoire de ceux affectés par ce décès, de cette empreinte durable, d'une part de l’être disparu qui se loge en nous, se diffuse et qui demeure en résidence au cœur de ce chalet intérieur où seuls les gens les plus précieux sont conviés.

Deuil

Comme un peu tout le monde j’ai été foudroyé par le décès de Karl Tremblay, courageux chanteur des Cowboys Fringants dont la musique a façonné notre imaginaire collectif. Des chansons fortes, brillantes qui offrent des constats sociologiques et politiques d’une grande lucidité où un peu tout le monde s’est un jour reconnu. Le legs de Karl Tremblay est inestimable parce que sa voix portait des textes qui parlaient de nous, prenaient soin de nos peines, de nos peurs, mais qui célébraient aussi nos joies et nos victoires. Surtout, sa voix portait tout l’amour qu’il avait pour les gens simples, extraordinairement ordinaires.

Des gens comme vous, comme moi, comme mon père qui a été reconduit à son dernier repos avec «L’Amérique pleure» magnifiquement interprétée par Hubert Cotton, je lui en suis d’ailleurs infiniment reconnaissant. Marie-Claude ma conjointe avait vu dans cette chanson tout ce que mon père était et encore aujourd’hui, je suis stupéfait de voir à quel point il y a dans ce texte l’essentiel du legs qu’il nous a laissé à la suite de son décès le 15 novembre 2022. Ainsi, c’est au retour du travail, exactement un an plus tard, le 15 novembre 2023, que j’apprenais le décès de Karl Tremblay. La journée avait été rude, beaucoup de route à la rencontre de la souffrance et du désespoir et elle se terminait drette de même… ça ne s’invente pas des hasards comme ça.

«La question qu'j'me pose tout l'temps:
Mais comment font ces pauvres gens
Pour traverser tout le cours
D'une vie sans amour ?
C'est si triste que des fois quand je rentre à la maison
Pis que j'parke mon vieux camion J'vois toute l'Amérique qui pleure
Dans mon rétroviseur…»

Les paroles de cette chanson me reviennent en pleine face, me frappent en plein cœur, y pas juste l’Amérique qui pleure. Mais une partie de ce legs, ce sera de me lever le lendemain, de serrer les dents et de continuer la route…

Héritage

Cela m’oblige à réfléchir sur le legs que je souhaite laisser aux gens qui me sont le plus précieux, mais aussi plus globalement à ma communauté. Il est ici question de socio et d’écoresponsabilité. Ceci dit, je ne vous cache pas l’immense colère que j’ai ressentie à l’annonce du début de la COP28, grande messe de l’hypocrisie politique qui s’engage à lutter contre les changements climatiques, en transportant 60 000 délégués d’un peu partout dans le monde en avion… à Dubaï, rien de moins. Hey, fucking Dubaï, symbole de la mégalomanie et de la folie autodestructrice de l’humanité. Je vous évite mes états d’âme pour y aller d’une suggestion simple et cohérente à l’endroit de ces dignitaires : laissons-les revenir à pied ou à la nage.

Cette idée de tenir la COP28 à Dubaï n’est pas seulement absurde, elle est cruelle et cynique. Il faut en comprendre que le legs d’une véritable lutte aux changements climatiques va devoir passer par l’engagement citoyen, la vigilance et une réflexion concrète sur nos habitudes et notre mode de vie ultra polluant de consommateurs compulsifs. Il y a justement une chanson prophétique des Cowboys Fringants qui aborde avec grande lucidité ce sujet, je vous laisse deviner laquelle.

«Tsé Pierrot, j’ai eu une belle vie, mais là chu fatigué, je vais te laisser t’arranger avec le reste.» La dernière phrase intelligible de mon père 48 heures avant qu’il prenne définitivement vacance de la vie pour aller rejoindre sa Viviane dans ce chalet, celui-là même dont je vous parlais précédemment.

 

 

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