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Musicologue

durée 22 décembre 2023 | 14h32
Pierre Sénéchal
duréeTemps de lecture 4 minutes
Par
Pierre Sénéchal

Petite boutique qui a fait figure de véritable institution sur la rue Lafontaine, voisin du bureau de poste, Le musicologue est un endroit mythique ou le client pouvait parfaire son éducation musicale, s’éveiller à de nouveaux trucs ou encore découvrir des artistes qui, comme leurs mélodies furtives, planaient sous les radars. C’est là que je me suis procuré mes deux premiers vinyles : Judas Priest (Sad wings of destiny) et Men whitout hats (Rhythm of youth).

À mon grand bonheur, Marc Fraser a fait renaitre ce phénix de ses cendres il y a quelques années à l’autre extrémité de la rue Lafontaine sous le nom de Vinyles au Centre-Ville, une sorte de cache qui déborde de trésors et de curiosités musicales. À ma dernière visite j’en suis ressorti avec le magnifique album d’Olivier Martin (coup de barre), une compilation de Weather repport et une suggestion de Marc qui m’a fait grand plaisir, les six femmes de Henry 8 de Rick Wakeman, un album que je recherchais depuis près de 30 ans. Et Marc de me dire «J’étais pas mal certain que ça tomberait dans tes gouts». Le musicologue avait vu juste.

Jaco

Le philosophe Robert Filliou disait «L’art c’est ce qui rend la vie plus intéressante que l’art». En ce sens, la musique magnifie l’expérience humaine et contribue à la rendre beaucoup plus belle, j’en suis absolument certain. Pour ma part, elle m’habite, m’accompagne et me borde dans le bonheur autant que dans le malheur à la manière d’une trame sonore guidant le film de ma vie.

Jaco Pastorius y occupe d’ailleurs une place de choix. Pour la singularité et l’originalité de son jeu et la manière dont il a bouleversé les paradigmes de son instrument de prédilection : la basse électrique. Rêveur et instinctif, Jaco a extirpé son instrument de la section rythmique pour lui donner une dimension résolument mélodique. Sa signature unique alliant fougue, virtuosité et sensibilité demeure pour moi un exemple ultime de la capacité qu’ont certaines personnes de réfléchir par eux même de façon libre et décomplexée. Et quand ces oiseaux rares ont le génie de Jaco, les résultats sont franchement spectaculaires.

Karl

Comme bien des gens, j’ai été foudroyé par le décès de Karl Tremblay, la voix amicale et rassurante des Cowboys Fringants. Dans l’imaginaire collectif, les Cowboys ont frappé fort en termes de pertinence et de résonnance, chacune de leurs chansons portant en elles un petit quelque chose d’intime, qui savait résonner en chacun de nous. Souvenirs de ma belle amie Chantal, fière Belge qui est venue exercer son métier d’orthophoniste au Québec plus d’un an et pour qui les Cowboys ont fait office de véritable lexique culturel.  C’est par la voix de Karl qu’est est elle-même devenue québécoise en quelque sorte.

Pour ma part, Karl Tremblay a fort probablement contribué à m’en apprendre un peu plus sur moi-même et cette leçon se décline en trois chansons distinctes qui ont eu un impact significatif sur mon existence : la manifestation, pour comprendre l’importance des luttes fécondes pour se donner le courage de ses convictions. Plus rien, pour la prophétique vision de l’imbécilité humaine et enfin l’Amérique pleure qui a accompagné mon père dans son dernier voyage.

Olivier

Même si je vivais dans la même ville que lui, je n’avais pas la chance de connaitre personnellement Olivier Martin. Par contre j’ai toujours été assez admiratif devant son travail, sa musique et sa sensibilité hors norme. Pour l’avoir vu une bonne douzaine de fois en spectacle, Olivier se livrait sur scène avec une sincérité peu commune. Une poésie du quotidien qui touche au cœur, il nous la livrait de sa voix feutrée, délicate et affirmée. Musicien accompli, au-delà de la technique et de l’exécution, Olivier Martin m’impressionnait par sa grande musicalité, une signature sonore toute personnelle.

Malgré la maladie, Olivier Martin nous a offert cet automne un album gigantesque intitulé Coup de barre. Rarement j’ai été aussi ému et touché par un album qui, par sons et mots doux, avait le pouvoir de me ramener dans un état émotionnel semblable à ce que j’ai vécu de mieux dans ma vie. Des parcelles de bonheur et de beauté qu’Olivier a tenté de ciseler en mots et en musique pour nous offrir une œuvre exceptionnelle à l’abri de l’usure du temps.

Le temps aura malheureusement manqué à Olivier qui a rendu l’âme le 16 décembre dernier des suites d’un long et courageux combat contre la maladie. Le lendemain, à la maison de la culture, sa famille, ses amis proches et ses compagnons du SONAR ont lancé l’album Coup de barre en célébrant comme il se doit, avec grande générosité, l’œuvre d’un artiste absolument remarquable, un homme d’une grande gentillesse apprécié de tous. À l’écoute de ses chansons, Olivier Martin, musicien et pédagogue dans l’âme, nous livre une formidable leçon de résilience, mais aussi, le devoir de célébrer la beauté, le bonheur et la vie dans ce qu’elles ont de plus précieux … avec un p’tit verre de confiance. Pour toute cette beauté et bien plus, merci Olivier Martin.

 

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