Immortelle
Pierre Sénéchal
Le 19 mai 2024 demeurera pour moi une journée infiniment triste. On y apprenait le décès de l’autrice Caroline Dawson. Bien sûr je ne la connaissais pas personnellement, ne l’ayant même jamais rencontré. Pourtant, à l’annonce de son décès, j’ai pleuré.
Caroline Dawson était sociologue de formation, née au Chili en 1979, arrivé au Québec en 1986. Elle nous aura livré un magnifique premier roman, «là où je me terre», ou elle déposait sur papier son parcours d’immigrante tentant de s’enraciner dans une nouvelle culture, un nouveau chez soi. Cette œuvre remarquable offre un regard de l’intérieur sur le délicat processus de déracinement qui marque le cheminement de chaque immigrant en quête d’un avenir meilleur, ailleurs.
Lumineuse
Étrangement, le partage que Caroline Dawson aura fait de son parcours et de sa vie m’en aura appris beaucoup moins sur elle que sur moi-même. C’est ce qui arrive lorsque l’on est appelé à lire une œuvre aussi puissante et singulière. Cette autrice avait le don rare de prendre le lecteur par la main l’invitant à se redécouvrir à travers son récit. Je me suis revu, immigrant de l’intérieur, à travers le regard de la petite Caroline, découvrant le monde extérieur, la pauvreté, l’incompréhension, mais aussi la bienveillance, l’abnégation de nos parents, le contact difficile avec les amis… Et tous ces petits lieux communs ou je me suis tellement reconnu. Par son histoire personnelle, Caroline aura permis de définir le véritable NOUS, ce vivre ensemble et ces opportunités qui tissent cette solidarité avec les nouveaux arrivants.
Courageuse
Malheureusement, la maladie allait voler à Caroline le précieux temps qu’elle prenait à partager sa grande humanité et son optimiste inébranlable. En fin de vie elle fut une chroniqueuse formidable à Radio Canada, lucide, juste, brillante, une voix dont on ne se lasse jamais. Elle aura également été admirable dans son combat contre le cancer, qui fauche beaucoup trop de gens, trop jeunes. À la trop longue liste de ces femmes exceptionnelles qui nous ont quittées beaucoup trop rapidement, Nelly Arcand, Lhassa de Sela, etc., s’ajoute maintenant Caroline Dawson.
Mémoire
Une semaine avant son décès, Caroline Dawson aura eu le bonheur d’apprendre la création d’un prix littéraire à son nom accompagné d’une bourse spécifiquement destinée aux auteurs et autrices issues de l’immigration qui, par leur travail, contribueront à élargir nos horizons. Longtemps les trois œuvres qu’elle nous aura léguées seront lues et relues et j’ai espoir que ce prix perpétuera d’une certaine manière la mémoire d’une formidable Québécoise née ailleurs, profondément enraciné ici. Au fond le devoir d’un peuple n’est-il pas de rendre l’indispensable immortel ?
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