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Obole

durée 27 septembre 2024 | 10h34
Pierre Sénéchal
duréeTemps de lecture 150 minutes
Par
Pierre Sénéchal

Enfant, je vivais voisin de mes grands-parents maternels, Lucien et Lucia, pour qui j’éprouve encore aujourd’hui, près de 40 ans après leur départ, un amour inconditionnel. Ils étaient l’incarnation même de la bienveillance et de la sollicitude, tellement attentifs et affectueux à l’égard de l’enfant un peu distrait et rêveur que j’étais … et que je suis encore. Les petites attentions et les gentillesses étaient nombreuses et parfois, avant de quitter j’entendais Mémère Lucia me rappeler avec amusement «Part pas trop vite, viens chercher ton obole».

Langage

Cette obole, dans la langue colorée de ma grand-mère, c’était bien sûr quelques sous, souvent une paire de trente sous tirée à même le pot à cenne de pépère qui, en bon complice, me suggérait de faire un détour par les «tites Levesque», célèbre magasin général du quartier Estcourt, pour m’acheter des cochonneries. À 5 cennes la pognée de bonbons et 25 cennes le sac de chips je vous jure qu’avec mes deux trente sous, j’étais "fuckin" riche.

Bien des années plus tard, à l’université, j’apprenais la véritable signification du mot obole, cette unité de monnaie de la Grèce antique qui était devenue au fil du temps une expression populaire désignant une très petite somme d’argent, presque insignifiante.

Humble

Le sens de ce mot anodin trahissait également une réalité qui avait été longtemps invisible à mes yeux et que j’ai mit un certain temps à comprendre et assimiler. Mes grands-parents ont vécu une bonne partie de leur vie dans ce qu’il est convenu d’appeler la pauvreté. C’est par grande débrouillardise et vaillance qu’ils ont élevé leur famille humblement et permis à leurs enfants, dont ma mère, d’avoir une vie plus confortable. De fait ils ont permis d’une certaine façon à leurs enfants de devenir des transfuges de classe.

Et j’en reviens toujours à ce petit appartement ou habitait mes grands-parents, un lieu d’accueil et de joie ou jamais de toute mon enfance je ne me suis rendu compte à quel point ils se contentaient de vivre avec si peu. Comment ils faisaient preuve d’abnégation, de fierté et … de générosité. Cette obole qui m’était offerte si souvent sans que je ne demande rien en était une parfaite représentation. Ce même petit appartement où mes grands-parents y avaient accueilli en 1982 la famille complète de mon oncle Pablo, directement débarqué d’Espagne, un moment fondateur et magique que je n’oublierai jamais.

Outils

Bien sûr, ma mère, mon oncle et mes tantes ont toujours été d’une grande reconnaissance à l’endroit de mes grands-parents qui ne demandaient jamais rien et avaient trop souvent le réflexe de refuser ce qu’on leur offrait, trop conditionné à gagner durement leurs vies dans un monde où rien n’est «gratisss». En réalité, ils avaient fait le pari de faire autrement sans argent en étant à leur façon ingénieuse et tellement optimiste face à l’avenir. Ils ont toujours beaucoup plus donné qu’ils n’ont reçu et pourtant mémère Lucia disait souvent «on a jamais manqué de rien».

Sages paroles de Lucia et de son Lucien.  Ils m’auront légué ainsi le plus magnifique des cadeaux, un immense coffre à outils remplis d’humanité, de gentillesse et d’ingéniosité face aux caprices de l’existence, mais surtout une confiance inébranlable en l’avenir, aussi sombre puisse-t-il paraitre. Depuis lors, à chaque fois que la vie devient insupportable, que le chaos s’installe et que la charpente de mon existence est endommagée, je fouille à l’intérieur, je plonge pour trouver le bon bidule, la patente pour fixer tout ça … et bien sûr la plupart du temps, ça tient le coup.
 
 
«Quand on n’a pas d’autre outil qu’un marteau, tous les problèmes ressemblent à des clous» - Abraham Maslow

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