Edouard
Pierre Sénéchal
Jeune homme au nombril vert, à l’approche de mes 20 ans, j’étais habité par une certaine révolte et surtout animé de ce désir ardent de changer le monde, oui, changer le monde. Un de mes premiers vrais emplois fût celui de préposé aux bénéficiaires dans un CHSLD et croyez-moi, j’ai changé le monde. Un travail difficile, mais honorable pour ce qu’il implique : prendre soin de gens vulnérables en grande perte d’autonomie, de les laver, les nourrir, de les border et de les changer lorsqu’ils sont souillés. Des actes qui doivent être prodigués dans la bienveillance, la douceur et le plus grand respect pour préserver la dignité et la qualité de vie de gens pour qui, justement, la vie glisse tranquillement entre leurs mains. À l’époque je n’étais pas pleinement conscient de l’impact que cette expérience allait avoir sur le reste de mon existence. Au-delà du revenu qui servirait platement à financer mes études, ce métier allait m’enseigner 3 concepts fondateurs : la bienveillance, le dévouement et l’humilité. Et quand j’avais 18 ans, mettons que de l’humilité, il m’en manquait et pas qu’un peu.
Chance
J’ai l’intime conviction d’avoir eu beaucoup de chance dans ma vie et l’anecdote que je m’apprête à porter à votre attention en est un magnifique exemple. Pour compléter mes heures de travail au CHSLD, Cécile la chef de service, m’avais offert la possibilité de travailler comme agent de socialisation pour animer un tant soit peu la vie des résidents par des sorties extérieures, des activités thématiques et surtout offrir une présence accrue auprès de ceux-ci pour humaniser leur quotidien au-delà des soins.
Étant guidé par Cécile, une humaine exceptionnelle, j’ai en quelque sorte appris à prendre soin. Je n’oublierai pas non plus les précieux conseils des préposés séniors (Roch, Guy et Michel) calmes et dédiés qui savaient adoucir et humaniser ces fins de vies dont certaines furent plus pénibles que d’autres.
Cowboy
Mon rôle d’agent de socialisation en CHSLD allait également me permettre de faire une rencontre étonnante, celle d’une icône de la musique country au Québec qui par pure générosité et grandeur d’âme nous avait contactés pour venir rencontrer nos résidents pour leur offrir un spectacle. Le métalleux en moi, friand de heavy métal, allait découvrir le seul et unique Edouard, un musicien et chanteur country authentique, franchement sympathique. Mais surtout, un homme affable, timide et généreux, qui n’hésitait pas à venir à la rencontre de ses fans (ou pas) les plus démunis, vieux, mourants, handicapés.
Peu de gens savaient que Monsieur Edouard venait de temps à autre donner un tour de chant au CHSLD de St-Éleuthère pour ses fans les plus démunis. Il le faisait en toute discrétion, avec générosité, mais surtout humilité, prenant le temps de visiter certains résidents individuellement pour leur parler et surtout les écouter. Cette visite qui ne devait durer qu’une petite heure s’étendait souvent sur l’après-midi au complet au grand bonheur des résidents. Je garde d’ailleurs précieusement en mémoire l’immense bonheur de mon ami Normand, déficient intellectuel adulte, qui savourait ce moment précieux avec son idole, généreux et disponible, qui venait à sa rencontre en disant ‘’Salut mon Normand, comment tu vas ?’’. Notre chanteur country légendaire avait visiblement plusieurs outils dans son coffre outre sa guitare et son grand cœur. Il avait surtout le désir de rendre la vie des plus vulnérables meilleure et il le faisait sans rien demander, par pure générosité, dans l’humilité la plus totale. Rien de ‘’stagé’’, juste par gentillesse.
Non, mais quand j’y pense, au début des années 90, un musicien déguisé en cowboy qui va chanter gratuitement devant un public de mourants, de déficients intellectuels et de ti-pauvres … transpose ça en 2024 pis c’est woke en estie.
Personnellement, je garde un souvenir précieux de ce moment passé en présence du grand Edouard Castonguay, légende de la musique country au Québec, pour sa gentillesse, sa générosité et son humilité qui rend son engagement encore plus noble, car à ses yeux, que tu sois millionnaire ou pauvre, en santé ou mourant, ca ne faisait aucune différence. Merci infiniment pour cette sincère leçon d’humilité, Monsieur Edouard, elle me sert encore merveilleusement bien aujourd’hui.
«Toute noblesse vient de l’humilité» - Lao tseu
«Celui qui ne possède qu’un marteau comme outil considère tous les problèmes comme des clous» - Abraham Maslow
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