Les boucs émissaires
Pierre Jobin
La recherche des boucs émissaires ne date pas d’hier. À entendre certains politiciens du Québec, l’immigration, sinon les personnes immigrantes elles-mêmes seraient la cause de bien des problèmes qui affectent le Québec.
Les exemples se multiplient depuis plusieurs années.
Le ministre Bernard Drainville a mis sur le dos de l’immigration les retards dans l’ouverture de classes de maternelle 4 ans, sous prétexte que les locaux et le personnel enseignant étaient monopolisés pour répondre aux besoins des immigrants. (1)
Après avoir nier pendant des mois la crise du logement, notre premier ministre François Legault a fini par l’admettre, mais en attribuant cette pénurie aux immigrants. (2) En quelques décennies, les immigrants sont donc ainsi passés de voleurs de jobs à voleurs de logements. Il a dû également s’excuser pour avoir laissé entendre que l’immigration menaçait la paix sociale. (3) Son ministre du travail de l’époque, Jean Boulet, avait pour sa part fait un lien avec la propagation du variant Omicron de la Covid et le chemin Roxham. (4)
Le parti québécois, par le biais de son chef, n’est pas en reste dans cette quête de désigner l’immigration comme la source de bien des problèmes. En novembre 2023, ce dernier affirmait : « Crise du logement, crise du français, crise au niveau des services essentiels », l’accueil d’un nombre sans précédent d’immigrants permanents et temporaires fait craindre une catastrophe à trois volets. » (5) Plus récemment, Paul Saint-Pierre Plamondon a essayé de faire porter la baisse du taux de natalité au Québec sur « les seuils astronomiques d’immigration » qui auraient amené certains jeunes parents à abandonner leur projet de famille en lien, entre autres, avec la crise du logement. (6)
Enfin tout récemment, c’est le ministre Lionel Carmant qui, sans détenir de données probantes, a tout de même attribué la hausse fulgurante des signalements à la DPJ à l’arrivée des immigrants. (7)
Des problèmes qui ont très souvent une origine plus complexe
Il ne s’agit pas de nier les défis particuliers liés à l’arrivée des immigrants, mais de dénoncer la stratégie qui consiste à en faire les boucs émissaires de problèmes qui ont leur source ailleurs.
Prenons la crise du logement. L’Institut de recherches et d’informations socioéconomiques, entre autres, a démontré que les causes de la crise du logement sont à chercher ailleurs que dans la hausse de l’immigration. (8) La baisse dans la construction des logements sociaux, la spéculation foncière, la hausse des loyers supérieurs à l’inflation, la multiplication des Airbnb… sont les facteurs responsables de cette crise du logement. Accuser l’immigration de la crise du logement permet ainsi à nos décideurs de masquer les causes réelles de cette pénurie et excuse leur inaction.
Un autre exemple : la baisse du taux de natalité. Non seulement l’immigration ne contribue pas à cette baisse. Au contraire, elle contribue à la hausse du taux de natalité comme le démontre Philippe Hurteau de l’IRIS. (9)
Comme le souligne Émile Roy dans son documentaire La Politique de la Peur: Comment l'immigration est instrumentalisée autour du monde (10), ce discours de méfiance et de peur à l’égard de l’immigration est une des caractéristiques de l’extrême droite même s’il ne lui est pas exclusif. Et l’ironie de ce discours est qu’entre la rhétorique électoraliste et la réalité socioéconomique, il y a souvent un fossé. Ainsi la présidente de l’Italie, Giorgia Meloni, après avoir fait une campagne anti-immigration pour être élue, a ensuite accordé 450 000 titres de séjour à des travailleurs étrangers, ce qui est un nombre record pour l’Italie. Et cela pour la simple raison que, comme bien des pays occidentaux, les besoins de main-d’œuvre sont criants et qu’il n’y aura bientôt qu’un seul travailleur par personne retraitée.
Même chose au Québec. Malgré un discours alarmiste sur l’immigration, le gouvernement de la CAQ a lui-même favorisé l’arrivée de travailleurs et travailleuses temporaires : « Québec presse Ottawa de faire sauter les plafonds de l’immigration temporaire. Le seuil de travailleurs étrangers temporaires sera rehaussé dans 71 métiers et professions à bas salaire, et les procédures d’embauche, simplifiées, a indiqué le ministre Jean Boulet en entrevue au Devoir. » (11)
Je cherchais une conclusion à ce billet, quand est sorti la nouvelle du discours prononcé par le député solidaire Haroun Bouazzi. Peut-être que ses premiers propos étaient sujets à interprétation. Mais ce que je constate, c’est qu’on est en train de faire une tempête dans un verre d’eau pour éviter de voir ce qu’il voulait véritablement dénoncer et que j’appuie totalement : « Ce que j’ai exprimé, c’est mon inquiétude face aux discours quotidiens qui pointent du doigt les personnes immigrantes comme la source d’une énorme partie des problèmes au Québec. C’était le sens de mon propos » (12)
Photo : https://pixabay.com/fr/illustrations/affiche-migrants-r%C3%A9fugi%C3%A9s-7297156/
Auteur : Vicxmendoza
1 commentaires
Pour partager votre opinion vous devez être connecté.
Les immigrants — qui viennent avec raison trouver un peu de bonheur dans ce paradis qui est le nôtre, par la même occasion renflouent notre démographie dormante — sont une cible facile. Le bon peuple est toujours prompt à taper sur l'étranger, sur la différence. Et sur ce point, nous ne sommes pas mieux qu'ailleurs.
Le Québec est immense, et il n'en tient qu'à nous de savourer la différence plutôt que de la rejeter. Encore faut-il réfléchir à partir de données justes.
Merci de remettre nos pendules à l'heure des faits.